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Publié le 20/01/2021 4 minutes de lecture
Anvers a toujours été une ville singulière, quelque peu excentrique. Sa réputation de centre de la mode et du clubbing ne date peut-être que du XXe siècle mais en grattant sous la surface, on découvre un port qui a toujours été d'avant-garde. Du maître Pierre Paul Rubens à la drum'n'bass fracassante du festival Rampage, le plus grand port belge lance des tendances depuis plus de 500 ans. Anvers est-elle en permanence la ville la plus cool du monde ?
Un foyer de la littérature interdite
Lorsque Christophe Plantin arriva à Anvers dans les années 1540, la tolérance qui prévalait dans ce port riche était très en avance sur l'époque. Le métier de ce maître relieur était encore si novateur qu'il risquait la prison ou le bûcher en continuant de travailler à Paris. Quand Plantin dût mettre fin brutalement à sa brillante carrière (le bras transpercé par un coup d'épée dans une ruelle sombre), il fonda alors une imprimerie couronnée de succès et d'une grande longévité à Anvers, tout en menant une vie extraordinaire d'humaniste et de collectionneur.Étonnamment, l'héritage de Plantin et de son gendre Jan Moretus est toujours visible sur place – presque intact de surcroît. Le génial musée Plantin-Moretus abrite deux des plus anciennes presses à imprimer du monde et la police de caractères en plomb originale façonnée par le graveur parisien Claude Garamond, qui porte son nom. Et bien sûr, sa librairie du XVIIe siècle est en parfait état.

L'étoile baroque d'Anvers
Si Anvers a connu des fortunes diverses lors du siècle suivant, elle n'a jamais perdu son assurance matérialiste ni sa vision unique. Son plus célèbre fils, le peintre Pierre Paul Rubens, est issu de cet environnement. Pour célébrer le génie de Rubens en 2018, l'Antwerp Baroque festival associe l'artiste à d'autres créateurs contemporains. Le peintre Luc Tuymans, l'artiste conceptuel Jan Fabre et le chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui ont plus en commun avec le maître baroque que leur ville d'origine : ils se délectent de sa palette sombre, évocatrice, et de son hyperémotivité théâtrale.C'est à la Rubenshuis qu'on peut voir ses plus belles œuvres (restées à Anvers), notamment L'Annonciation et un de ses quatre (seulement) autoportraits. Ancienne maison et atelier de Rubens, le musée expose aussi des tableaux de ses contemporains tels Anthony Van Dyck, et beaucoup d'objets domestiques de l'époque.De plus, la Rockoxhuis va rouvrir l'année prochaine. Ce musée était la demeure du grand collectionneur Nicolaas Rockox, qui fut aussi bourgmestre (maire) d'Anvers. On y trouve des tableaux de Rubens, des œuvres de Wildens et Pierre Brueghel le Jeune. L'espace rénové intégrera aussi la maison voisine, où vécut un temps le peintre de nature morte Frans Snyders.

Quand la mode flamande a envahi le monde
En 1986, six jeunes créateurs (tous diplômés de l'Académie royale des beaux-arts) et un chausseur-devenu-directeur-artistique sautèrent dans un van pour aller à Londres se mesurer aux créateurs britanniques lors de la Fashion Week. Personne ne put prononcer leur longs nom flamands (c'est ce que dit la légende), et ainsi naquirent les Six d'Anvers. Ann Demeulemeester, Dries Van Noten, Dirk Bikkembergs, Walter Van Beirendonck et Marina Yee rentrèrent tous chez eux avec des commandes de boutiques comme Barney’s à New York ou Liberty à Londres, en un moment qui symbolise parfaitement les risques pris par la mode dans les années 1980 et 1990.Avec leur vieux complice Martin Margiela, les Six d'Anvers rendirent tout à coup les costumes à épaulettes et les robes peplum de Paris et de New York dépassés. Leur credo anti-glamour et l'effacement des frontières de genre reflétait la nature avant-gardiste de leur ville.Ils ont laissé leur marque dans tout Anvers. Walter Van Beirendonck dirige le département mode de l'Académie royale, et a lancé une nouvelle génération de créateurs belges comme Raf Simons, Véronique Branquinho ou Kris Van Assche.

Anvers révolutionne les pistes de danse
Quand Pump Up The Jam de Technotronic a explosé sur les dancefloors en 1989, peu savaient d'où venait ce tube, et ils étaient encore moins à avoir entendu parler de la scène dont il était issu. Ce son – la new beat – venait de la scène musicale belge qui mêlait house et hip-hop. Le réalisateur Jozef Devillé affirme dans son documentaire de 2012 The Sound of Belgium que l'étonnante musique électronique du pays, et ses nombreuses branches comme l'EBM (electronic body music), la house ou la techno, ont des racines dans les traditions populaires transgressives des carnavals, les orgues Decap des dancings et les thés dansants de campagne des années 1960-1970.

Traduit par : Vincent Guilluy