-
Publié le 09/02/2021 7 minutes de lecture
La Belgique est le paradis de la bière ; d’ailleurs, sa “culture de la bière” a été inscrite au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. La production du Plat Pays est d’une infinie variété, avec plus de 2 500 références ! Si vous commandez une bière dans un café, on vous servira normalement une pils classique, comme la Jupiler, la Maes ou la Stella Artois, mais il serait dommage de ne pas essayer des spécialités plus typiques et originales, notamment les célèbres gueuzes et lambics, au goût acide ou acidulé, ou les rouges des Flandres (parfois appelées “vieilles brunes”, ou “oud bruin”), comme la Rodenbach, également acidulées, mais un peu plus douces. On notera aussi l’importance des bières puissantes et complexes aux noms “démoniaques” comme la Fruit défendu, la Judas ou la Duvel (qui signifie “diable” en flamand) ou, à l’inverse, dont le nom fait référence à l’imaginaire monastique, comme les bières d’abbaye ou les fameuses bières trappistes, encore brassées de nos jours sous le contrôle des moines.
Les premières gorgées
Quand la peste noire se répandit aux Pays-Bas au XIe siècle, l’abbé d’Oudenburg (Audembourg) Arnold (Arnould de Soissons, ou Arnould d’Audenarde ; 1040-1087) persuada les paroissiens de boire de la bière plutôt que de l’eau pour ses vertus sanitaires. Au Moyen Âge, il fallait en effet faire bouillir l’eau pour fabriquer la bière et le stratagème s’avéra miraculeux. Arnold devint ainsi le saint patron des brasseurs en Belgique (Arnoul ou Arnould de Metz, mort en 640, étant le patron des brasseurs lorrains), et la bière une boisson de tous les jours, symbole de l’hospitalité des moines et source pour eux de revenus. À l’origine, il s’agissait sans doute d’une sorte de soupe d’orge de fermentation spontanée, mais, au cours des siècles suivant, des moines passionnés développèrent des techniques de brassage sophistiquées et des manières d’en rehausser le goût par l’ajout de miel et d’épices.L’âge d’or de la bière d’abbaye ne commença en fait qu’au début du XIXe siècle. Les monastères mis à sac pendant la fièvre anticléricale née de la Révolution française avaient besoin de fonds pour reconstruire leurs domaines détruits, en Belgique comme en France. On ressortit des oubliettes les vieilles recettes de bière monastique et on travailla à les améliorer : les moines prirent conscience qu’ils tenaient là une bonne source de revenus.

Bières trappistes et bières d’abbaye
Aujourd’hui, l’immense majorité des “bières d’abbaye” n’en ont plus que l’appellation, les moines ayant externalisé la production en échange d’une redevance. C’est le cas des excellentes Corsendonk et Maredsous, mais aussi des célèbres Grimbergen et Leffe. Cette dernière, par exemple, était il y a plusieurs siècles brassée dans une abbaye de Dinant, mais elle est désormais produite industriellement par AB-InBev, une immense multinationale. Certaines bières locales ont pris le nom d’abbayes aujourd’hui en ruine, comme l’Ename produite à Audenarde (Oudenaarde) ou l’Abbaye d’Aulne, brassée au Val de Sambre, près des ruines de l’abbaye d’Aulne. Presque toutes les bières d’abbaye sont disponibles en au moins deux versions : Dubbel/Double (brune relativement puissante) et Tripel/Triple (blonde très forte).
Voir cette publication sur InstagramEn Belgique, six abbayes de l’ordre cistercien (dit aussi trappiste) produisent encore de la bière. Riches, équilibrées et d’une fascinante complexité, ces “bières trappistes” sont considérées comme l’archétype de la bière belge. “Trappiste” est une appellation d’origine contrôlée plutôt qu’un type de bière : la couleur et la concentration en alcool varient. La Chimay, l’Orval et la Westmalle sont aujourd’hui en vente partout, et chaque abbaye dispose d’un café où déguster la bière du cru. Il est un peu plus difficile de se procurer l’excellente Rochefort ou la récente Achel, produite à l’abbaye Sint Benedictus (www.achelsekluis. org), où le brassage n’a repris qu’en 1999. Mais le Graal pour les amateurs de bière belge reste Westvleteren, dont les bouteilles non étiquetées se distinguent uniquement par leur capsule − la Westvleteren 12 (10,8% d’alcool), à capsule jaune, est une bière sombre, puissamment maltée, qui, grâce à son intense complexité, est régulièrement distinguée comme l’une des meilleures bières au monde. La production étant extrêmement limitée, la meilleure façon d’en goûter est de vous rendre directement à l’abbaye. Et, si vous désirez acheter des bouteilles, il est préférable de prendre rendez-vous à l’avance, car la demande est forte. Tout cela ajoute au caractère excitant et mystique de l’expérience. Si vous ne trouvez aucun bar pour vous servir une Westvleteren, vous pourrez toujours vous rendre à Watou, non loin, pour goûter une St-Bernardus, élaborée à partir de recettes et de techniques héritées d’un maître-brasseur de Westvleteren.
Voir cette publication sur Instagram
Bières blanches
Les bières blanches (witbier en flamand), apparues au Moyen Âge dans l’est du Brabant et la région de Louvain, sont des bières de froment désaltérantes, généralement troubles, épicées avec des écorces d’orange, de la coriandre, voire de la cardamome. Elle se boivent très fraîches, parfois avec une rondelle de citron les après-midi d’été. La plus célèbre est brassée à Hoegaarden, qui abrite un intéressant musée de la bière. La Blanche de Bruges (ou Brugs Tarwebier) est également prisée.

Lambics, gueuzes et bières aux fruits
Ce sont des micro-organismes présents dans l’air qui permettent la fermentation spontanée des fameux lambics (lambiek en flamand). L’idée est séduisante, mais il faut savoir que les lambics purs ont un goût vif et acide très déconcertant pour les non-initiés. Ils sont bien plus faciles d’accès après une maturation en fût pouvant aller jusqu’à trois ans, puis un assemblage (pour la gueuze), l’adjonction de sucre candi (pour le faro) ou de fruits rouges frais, notamment des cerises (kriek) ou des framboises (framboise). Vous découvrirez toute une gamme de gueuzes, de krieks et de lambics et saurez tout sur leur production au centre des visiteurs De Lambiek, à Alsemberg, près de Bruxelles. Si certaines bières aux fruits très commerciales, comme celles de la marque La Bécasse, sont trop sucrées et écœurantes, ce n’est pas le cas des krieks plus authentiques, comme celle de la brasserie Boon, qui est fruitée et acidulée, mais sans être trop acide.

Bières hors classe
Les bières n’entrent pas toutes dans des catégories clairement définies. Parmi ces bières “spéciales” belges, citons la superbe gamme de Gouden Carolus (Carolus d’Or), brassée à Malines, la célèbre Chouffe, avec son nain emblématique, les bières de la brasserie des Fagnes et bien d’autres encore. La Bolleke de la brasserie De Koninck, singulière bière ambrée, est devenue emblématique d’Anvers. La récente explosion de bières artisanales a aussi permis aux brasseurs belges de redoubler d’ingéniosité et, parfois, de remettre au goût du jour certaines bières historiques, comme la “saison”, à la sécheresse agréablement désaltérante (celle de la marque Dupont est emblématique du style). La brasserie à vapeur historique de Pipaix (province de Hainaut) brasse à peu près toutes les variétés citées ci-dessus. Quant à l’essor des bières IPA à l’américaine, il a encouragé le houblonnage de toute une gamme de bières classiques, parmi lesquelles La Chouffe Houblon et la Duvel Tripel Hop.
Voir cette publication sur Instagram
Visites guidées de brasseries
Les abbayes trappistes sont fermées au public et seuls leurs cafés de dégustation accueillent les visiteurs. En revanche, plusieurs autres brasseries proposent des visites de groupe, sur réservation. D’autres sont accessibles sans réservation, comme la brasserie De Halve Maan à Bruges et la brasserie Cantillon de Bruxelles, merveilleusement désuète. Et l’on peut assister au brassage une fois par mois à la Brasserie à Vapeur de Pipaix. Avec un peu d’organisation, vous pourrez facilement rejoindre un groupe pour visiter la brasserie Stella Artois à Louvain ou celle de La Chouffe à Achouffe. Pas de réservation obligatoire non plus chez De Koninck à Anvers, ni à l’historique Het Anker de Malines. Chimay propose quant à elle des visites interactives (Chimay Experience). Enfin, nouvelle et tendance, la brasserie Seef d’Anvers se double d’un bar, tout comme celles de Wilderenet Mariembourg.
Les verres à bière
En Belgique, le plaisir de boire une bière va de pair avec celui de découvrir le verre correspondant. On en trouve dans les boutiques de bière spécialisées ainsi que sur les marchés aux puces, à environ 4 € l’unité. Certains commerçants proposent des verres de collection et des éditions spéciales. Chaque type de bière est servi dans un verre de forme particulière, censé faire ressortir son goût et ses caractéristiques.
Le verre Ballon
Les fameux ballons belges sont de grands verres à pied conçus pour les bières fortes. Certains ressemblent à d’imposantes coupes, d’autres à de gracieux verres à vin. Créé dans les années 1930, le calice à facettes trapu de l’abbaye d’Orval évoque un long passé monastique.
Le verre Tulipe
Un corps bulbeux et des bords légèrement évasés : c’est le verre qui convient le mieux aux bières aromatiques. Il permet aussi la formation d’une belle mousse. Le plus connu est celui de la Duvel. Chaque année sont créées une nouvelle édition d’artiste et une version high-tech incassable, capable de résister aux nombreux festivals estivaux que réserve la Belgique. La jolie tulipe de La Chouffe est ornée de nains de jardin.
La Flûte
Les bières fruitées et les lambics sont souvent servis dans des flûtes bombées, semblables à celles utilisées pour le champagne, qui concentrent les arômes.

Les bières insolites
- La Pannepot : une bière millésimée, puissante (10%) et complexe, régulièrement classée parmi les meilleures bières au monde.
- La Garre : une merveille à 11%, aux notes florales, servie exclusivement dans le bar éponyme, De Garre, dans une petite ruelle à Bruges.
- L'Orval : célèbre trappiste, l’Orval (6,2%) est unique en son genre de par la complexité aromatique de son amertume sèche. Attention à ne pas verser la levure. En Belgique, on dit “un Orval” plutôt qu’“une Orval”.
- L'Airborne : servie dans un petit casque en grès, à Bastogne.
- L'Alpaïde : une triple brune à 10% qui prouve que l’on ne brasse pas que de la bière blanche à Hoegaarden.
- La Kwak : une bière devenue célèbre pour son sympathique verre avec support de bois, dont l’origine historique semble malheureusement être une pure invention commerciale.
- La Bravoure : une bière ambrée au goût fumé (6,5%) de la brasserie De Dochter van de Korenaar, qui propose également une bière fumée noire, la Charbon (7%), adoucie à la vanille fraîche.
- La Liefmans Goudenband : une brune flamande forte (8%), aux reflets rouges, créée par la première femme maître-brasseur de Belgique, Rosa Merckx. Une oud bruin de garde exceptionnelle, monument de la bière belge, toujours brassée à Audenarde.
- La Luvanium Tripel : inspirée d’une recette redécouverte par un historien dans les archives de l’université historique de Louvain.
Et pour compléter toutes ces informations :Association des brasseurs belgesAssociation des goûteurs de bière belgesBierebelRoutes de la bière belge