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Publié le 16/02/2022 5 minutes de lecture
Notre auteure Elodie Rothan est partie en tour du monde en famille pour 9 mois ! Elle nous emmène avec elle et nous allons suivre ses découvertes au fil de cette série tour du monde !
Après un premier article sur l'Amazonie, continuons à suivre ses aventures...Nous sommes partis depuis 40 jours. 40 jours à arpenter un pays mythique : le Pérou. 40 jours à grimper un escalier titanesque, dont chaque marche est à la mesure du pas d’un géant, voire d’un dieu. Arequipa – 2335 mètres, Machu Picchu – 2430 m, Písac - 2972 m, Cusco – 3399 m. Tout en haut s’atteint le lac Titicaca, à près de 4000 m d’altitude : l’Olympe du Pérou, la marche suprême de cette ascension gigantesque.
Depuis le hublot de l’avion quittant la forêt amazonienne, l’image est très nette : le fleuve Madre de Dios ressemble à un immense serpent ondulant sur un tapis verdoyant. « Le serpent indique une relation avec l’eau. Il est celui qui peut aller vers le monde souterrain et en revenir », m’expliquera plus tard Hiroshi, notre guide dans la Vallée Sacrée. Je ne le sais pas encore, mais cet animal va sans cesse revenir au cours de notre voyage et se mêler intimement à deux autres : le félin et l’oiseau. Tous trois forment une trilogie mythique qui résonne dans tout le pays.
A Arequipa, nos poumons s’acclimatent doucement à l’altitude. Au couvent Santa Catalina, l’un des plus grands au monde, nous soupesons ce mélange culturel si singulier au Pérou, entre conquête hispanique, christianisme fervent et, nous l’apprendrons bientôt, un ancrage encore très puissant dans les croyances originelles. Tous les Péruviens à qui je m’adresse me parlent rapidement – et avec la tranquillité de ceux qui savent - de la Pachamama (la terre mère) ou des Apus (les montagnes sont vues comme des êtres vivants). « Mais de quelle religion es-tu ? » demandais-je ingénument à l’un d’entre eux, qui venait de m’évoquer les esprits de la montagne. Il me regarde, étonné : « Mais catholique, bien sûr ! ». J’en ris et, heureusement, il en rit aussi. Au Pérou, le syncrétisme a fait son œuvre. Mais les croyances originelles demeurent intimement liées à la géographie – elle-même reliée aux étoiles et constellations. Leurs racines puisent bien au-delà de la période dite Inca. Datés de plus de 1000 ans avant J.C., des objets en pierre attestent d’une représentation fusionnelle des trois animaux sacrés qui, ainsi combinés en un seul être surnaturel, lui confèrent le pouvoir des trois mondes : celui de la terre (le félin), du ciel (l’oiseau) et du monde souterrain (le serpent). Dès lors, notre ascension à travers les Andes s’apparente à la quête de cette figure symbolique, qui trouverait son origine dans cet Altiplano à hauteur de nuages : le lac Titicaca serait le berceau culturel du Pérou, voire de toute l’Amérique du Sud.
Nous atteignons la seconde marche de notre escalier gigantesque : le célébrissime Machu Picchu. Cette citadelle mainte fois rêvée se déploie dans un site spectaculaire. Les pitons rocheux tapissés de jungle se jettent à pic dans la rivière. Quelques lamas paissent paisiblement à quelques centimètres du gouffre. J’apprends qu’aujourd’hui encore on ne connait pas exactement la fonction originelle du site. De multiples références aux astres et des symboles aux significations denses font resurgir cette trilogie mythique – et, avec elle, les relations entre les animaux, les hommes et les dieux, ou encore celles du ciel, de la terre et du monde souterrain.
Je ne sais plus exactement sur quelle marche de cet escalier géant je me trouve à présent. Mais ce qui est sûr, c’est qu’en remontant la vallée Sacrée, les Apus sont partout. Les hautes montagnes toisent la vallée de leur altitude, se nimbent de nuages, dévoilent leur visage avec parcimonie. Nous grimpons des citadelles ancestrales, nous arpentons des terrasses vertigineuses et autrefois cultivées - mais comment faisaient-ils donc ?! Nous traversons Amaru, l’un des nombreux villages tisserands où se perpétue le savoir-faire de l’art du tissage, puis l’étrange site de Moray, dont les terrasses circulaires demeurent énigmatiques.
A 3400 d’altitude, nous atteignons le point central duquel rayonnait tout l’Empire Inca (qui s’étendait alors sur une grande partie de l’Amérique latine) : Cuzco, la ville en forme de puma. Je ne peux que m’émerveiller devant la perfection des murs de l’ancienne citadelle, dont chaque pierre œuvre d’une précision quasi fantastique.
A Sacsayhuamán, debout devant un quadrilatère parfait de 9 mètres de hauteur, je me dis qu’il y a une partie du mystère que nous n’avons toujours pas percée. Hiroshi, notre guide, nous narre alors la « Légende des pierres », qui se murmure encore dans les villages. Elle raconte qu’autrefois vivait un peuple dont le savoir était si grand qu’il savait parler le langage des pierres. Il était ainsi capable de les faire bouger. On dit qu’aujourd’hui les pierres dorment. Elles attendent que quelqu’un, à nouveau, leur parle leur langue pour se mouvoir. Il est temps de grimper à la dernière marche de cet escalier gigantesque : le lac Titicaca. Nos poumons habitués semblent prêts. Les eaux de cette petite mer d’altitude – le plus haut lac navigable au monde – recèleraient-ils quelques indices à cette enquête mystique ? Si l’Amazonie était le serpent, Cusco le Puma, alors nous devrions nous rapprocher de l’Oiseau ? Las, il n’en est rien. Titicaca signifierait « Puma » et « Couleur argenté » dans la langue ancestrale des Aymaras. D’ailleurs, du ciel, le lac aurait la silhouette d’un puma attrapant un lièvre et, à la pleine lune, il luirait d’une couleur argentée. A perte de vue s’étendent des champs où poussent céréales, quinoa et tubercules (le Pérou ne dénombre pas moins de 3000 variétés différentes de pommes de terre !). Les moutons paissent tranquillement, les femmes revêtent leurs larges robes colorées et le lac nous offre ses 1000 nuances de bleus. A la lisière des nuages, nous semblons toucher le ciel.Les totoras ondulent aux dernières lueurs du jour. Ces sortes de roseaux sont ici une ressource primordiale : sur les rives pour l’alimentation des bêtes, mais aussi, au milieu du lac, pour l’édification d’étranges « îles flottantes » : les Islas de Uros. Les fondations de ces îles reposent sur un banc de roseaux, dont les tiges sont coupées puis disposées en couches successives : il faut plus de 2 mètres de cette accumulation pour que l’île soit viable et environ une année entière pour achever sa construction.
Les habitants auraient originellement inventée cette technique pour fuir les attaques des Incas. Aujourd’hui, les touristes défilent pour admirer leur prouesse.
Non loin, à l’île de Taquile, nous découvrons une autre sorte d’ingéniosité. Les fiers Aymaras y préservent leur langue, leurs coutumes, leurs modes de vie ancestraux. Ils inventèrent ici le langage des costumes. Suivant un code précis et complexe, chaque individu est vêtu et coiffé selon son âge, sa situation familiale et son rang social. Mais en disposant, par exemple, son pompon à droite ou à gauche, il peut aussi évoquer ses états d’âmes sentimentaux, indiquer s’il est heureux, malheureux ou encore s’il est d’humeur à trouver l’âme sœur. Même, après une proposition masculine codifiée, la demoiselle peut signifier par quelques gestes de cape et de pompons si elle est d’accord ou non pour un rendez-vous galant ! Ces incroyables traditions vestimentaires ont été classées à l’Unesco, au titre du Patrimoine Immatériel de l’Humanité.
A la lisère des nuages, le dernier peuple que j’aurai rencontré m’aura dévoilé un étrange langage de broderies et de pompons. Il m’a joué une singulière pièce de théâtre muet, comme si le langage pouvait aussi se passer de mot. Me reviennent alors les paroles d’Hiroshi, lorsque je l’interrogeais sur l’absence d’écriture chez les cultures préhispaniques : « une écriture est un système qui permet de transmettre un message. Pour les occidentaux, elle doit fondamentalement avoir un alphabet. Mais il est possible que les symboles complexes utilisés par les anciens peuples, tout comme les dessins ou les mystérieux Quipus (ces sortes de trousseaux de cordelettes à nœuds dont nous n’avons pas encore réussi à déchiffrer la signification) puissent être considérés, selon certains points de vue, comme des écritures ». Après un silence, il reprit : « ici, dans les Andes, le monde est vu comme une unité. Tout est constamment en relation et l’univers entier se pense dans sa complexité, mais – toujours, en unité ». A la frontière de l’Olympe péruvien, je reste sans voix devant la beauté du ciel et de la mer mêlée... La « mer allée avec le soleil » comme disait un poète de chez nous, qui rajoutait : « Elle est retrouvée. Quoi ? L’éternité ».