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Publié le 05/01/2022 5 minutes de lecture
Notre auteure Elodie Rothan est partie en tour du monde en famille pour 9 mois ! Elle nous emmène avec elle et nous allons suivre ses découvertes au fil de cette série tour du monde ! Vous embarquez ?Amazonie. Ces huit lettres sont une bombe d’exotisme. S’y s’enchevêtrent les images d’une nature inviolée, d’un monde sauvage à l’état pur, de fantasmes d’aventures uniques. Lointaine, inaccessible, cette forêt occupe un territoire gigantesque, à cheval sur plusieurs États, dont le Pérou. A l’est du pays, Puerto Maldonado en est l’une des portes d’entrée les plus accessibles. C’est pour nous l’occasion de pénétrer cet immense océan végétal.
Nous arrivons à Puerto Maldonado au matin. L’atmosphère est moite. A peine arrivés, nous embarquons sur un petit bateau à l’allure de pirogue pour rejoindre la Reserva Amazonica. Au cœur de 30 hectares de forêt, quelques lodges bordent la rivière. Dès lors, les réseaux sont coupés : pas d’internet, pas de téléphone et un accès à l’électricité restreint à certaines plages horaires. Bienvenue dans la jungle.
En guise d’introduction à la forêt amazonienne, notre guide, Justo, nous enseigne une leçon essentielle : ici, la première étape est d’apprendre à observer. La forêt est un univers de camouflage. Tout s’y cache. En chemin, il nous indique des espèces emblématiques, dont certaines ont des propriétés médicinales... et des noms très évocateurs : Griffes de chat, Côtes d’Adam, Doigts de Diable, Queues de Sirène, Roses de Porcelaine, Cervelles de Singes, Arbres de Fer ou encore Sang de Dragon, dont la sève rouge sang se transforme en pommade blanche lorsqu’on l’étale sur la peau. En regardant attentivement, il devient évident que chaque parcelle de la forêt recèle un impressionnant enchevêtrement de vie. Il n’y a jamais « une » plante ou « un » arbre. Chaque espèce est plurielle, intimement liée à d’autres. Une danse féroce est partout engagée, dans laquelle toutes les ruses sont permises. L’exemple du ficus parasite est à ce titre fascinant : à son état précoce, cette petite liane agrippée au tronc d’un cocotier semble chétive. A son stade ultime, nous la retrouvons métamorphosée en arbre gigantesque, de plusieurs mètres de diamètre et de quarante mètres de hauteur, au centre duquel l’ancien tronc, asphyxié, semble désormais minuscule. L’Amazonie est emplie de récits impitoyables.
Nous méditons cette leçon lorsqu’à la nuit tombée, Justo nous emmène dans la forêt, équipés de nos lampes torches. L’amoncellement d’humus sur le sentier forme un doux tapis végétal. Justo nous montre quelques insectes aux formes impressionnantes. Nous avançons, plutôt guillerets. Puis, il s’arrête et nous demande de nous placer derrière lui. Il éclaire un recoin sur le sol, au centre d’un imbroglio végétal. « Là », nous indique-t-il, « une tarentule ». Tout d’un coup, je l’aperçois. Elle est là, énorme, velue, noire, ses huit pattes musclées, sa tête abominable. La mygale. Elle est devant moi. Exactement comme j’ai pu la voir sur ces documentaires animaliers à sensation. Aussi énorme, aussi effrayante. Mais réelle. « Attention », nous prévient Justo, « elle peut sauter à plus d’un mètre ». Mon sang se glace. Les enfants se serrent contre moi. Honnêtement, je ne sais lequel de nous trois est le plus terrifié. Nous poursuivons l’exploration. J’ai envie de marcher sur la pointe des pieds. Nous en croisons une autre, puis deux, puis quatre... puis huit ! « Elles ne sortent que la nuit, nous explique Justo, ce sont des prédatrices ». L’Amazonie ne fait pas dans la mesure.
Au matin, nous partons vers le lac Sandoval, dans la Réserve nationale de Tambopata. Lianes et palmes s’enchevêtrent dans un décor grandiose, aux cimes de 40 à 60 mètres de hauteur. Surgissent ici ou là quelques gigantesques Kapok – des arbres considérés comme sacrés – tandis que des singes capucins nous accompagnent de leurs acrobaties. Lorsque nous embarquons sur des canoës, nous atteignons enfin le lac Sandoval. Il se révèle dans la pureté de sa lumière. Ce mélange de ciel, d’eau et de forêt vierge compose un univers d’une harmonie parfaite. Nous glissons en silence. Nous observons. L’intense vie amazonienne commence à se dévoiler. Là, des Bocholochos – un oiseau dont le son singulier évoque le bruit de l’eau -, plus loin des Oropendolos, à la queue jaune, puis des Hoatzins s’ébouriffant, déployant leur crête dentelée : ces oiseaux font partie des espèces les plus anciennes, préhistoriques. Là encore des Martin-pêcheur, des hérons ou des colibris virevoltent. Dans les branchages se distingue une famille de singes hurleur nous offrant une démonstration de sauts périlleux. Sous un feuillage, les yeux d’un caïman scintillent. Sur un tronc, des chauves-souris sont tellement bien camouflées que même Justo a failli ne pas les distinguer. Plus loin, nous approchons des piranhas - engloutissant avec voracité les morceaux de pains lancés. Tout près, une petite tortue d’eau nous regarde tranquillement. Même deux toucans – si rares à observer – se joignent au ballet sauvage que l’Amazonie nous joue.
A la nuit tombée, nous embarquons sur le fleuve, à la recherche des caïmans. Nous glissons sur l’eau dans un noir total. Seule, la lampe torche de Justo éclaire les alentours et guide le chauffeur. Sur les rives partiellement éclairées se mêlent boue, troncs d’arbre, bosquets de végétation. Apparaissent alors dans l’obscurité deux points rouges scintillants. « Ce sont leurs yeux », m’indique Justo. Le bateau s’approche doucement. Mes yeux ne décèlent rien. Soudain, une forme colossale se met en mouvement et plonge dans la rivière. La séquence a duré seulement quelques secondes. L’allure puissante du caïman, ses écailles luisantes, sa gueule féroce et sa queue ondoyante dégagèrent une telle force que l’image se grave à jamais sur notre rétine.Au milieu du fleuve, les moteurs s’arrêtent, le silence se fait. « Écoutons l’Amazonie », nous enjoint-on. Dans la pénombre, l’eau filant vers la nuit sombre nous enveloppe. Peu à peu habituées à ce nouvel équilibre, les oreilles distinguent alors, au loin, montant de la forêt, une clameur immense, énorme, pleine de vie : des milliers et des milliers de chants nocturnes s’unissent pout jouer ensemble toutes les gammes d’une vaste symphonie naturelle.
Nous sommes en Amazonie depuis 3 jours et déjà notre monde occidental me semble loin. Les expériences vécues sont tellement intenses, la vie observée si dense qu’émerge une crainte de quitter tant de vitalité. La magie de ce spectacle naturel ne s’offre pourtant pas d’emblée. Elle nécessite du temps, de l’observation, de la patience... et un guide expérimenté. Sans Justo, je ne pense pas que nous aurions pu découvrir par nous-même le quart de ce qu’il nous a permis d’observer : la capacité de camouflage, la ruse des formes, la patience des animaux, l’entremêlement des espèces et, de temps à autre, le surgissement de la force pure. J’en repars avec une émotion singulière, mêlée de fascination, de peur et d’émerveillement.
Informations pratiques :
Y aller : des vols relient Puerto Maldonado : Latam (depuis Lima et Cusco) et Sky Airlines (depuis Cusco). Des bus de nuit relient également la ville à Cusco (notamment la compagnie CIVA).
Se loger :
De nombreux hôtels & lodges sont installés à Puerto Madonado et sur les rives du fleuve. Nous avons eu la chance d’être accueillis par Inkaterra Reserva Amazonicapour ce reportage : installée ici depuis 1975, cette compagnie est le véritable pionnier de l’écotourisme dans la région – ses actions en faveur de la préservation de la biodiversité lui ont valu de nombreuses reconnaissances (et labels). Ses guides de grandes qualité, ses excursions parfaitement ajustées et, bien entendu, la qualité de ses chambres et de son restaurant, en font une adresse d’exception.
Notez également qu’il détient l’unique infrastructure de la canopée aux normes de sécurité contrôlées et approuvées : accueillant ici chercheurs, scientifiques, étudiants ou volontaires, cette station d’observation abrite un système de ponts suspendus à 60 mètres de haut dans la canopée (au spectacle vertigineux !)... A bon entendeur !