
Marché couvert de Makishi à Naha, la capitale. © Rodolphe Bacquet
Texte par
Rodolphe Bacquet
Mis à jour le : 18 décembre 2017
Carte postale du Japon : les cerisiers en fleur, les jardins zen, les sushis, les neiges du mont Fuji. Rien de tout cela sur l’archipel d’Okinawa, à l’extrême sud du pays. Là, dominent les récifs coralliens, la jungle, la mangrove. La gastronomie traditionnelle, incroyablement riche, n’y a guère de commun avec le reste du Japon que les baguettes. Vous chercherez en vain des combats de sumo dans ces îles qui sont le berceau du karaté moderne. Bienvenue dans un Japon très loin du Japon…
Okinawa échappe facilement à l’attention du voyageur qui déplie la carte du Japon : l’archipel y est relégué dans un coin qui prête à confusion quant à sa localisation réelle, un peu comme la Corse sur une carte de France. Et pour vous figurer la distance folle qui sépare Tokyo d’Okinawa, imaginez que, transposée au cas français, la Corse se situerait plutôt dans le désert du Sahara par rapport à Paris…
Okinawa ne baigne pas dans les eaux de la mer du Japon, mais dans celles de la mer de Chine orientale. Taïwan est à un jet de pierre. Shanghaï deux fois plus près que Tokyo. Okinawa est cependant un nom bien japonais : c’est celui que lui a donné l’empereur Meiji après avoir annexé le royaume des Ryūkyū, à la fin du XIXè siècle…
Si l’on vient à Okinawa – et l’on y vient peu d’Europe, mais beaucoup du Japon et de Chine – c’est d’abord pour cette nature fabuleuse. Il faut vite sortir de Naha, la capitale de l’archipel, rasée pendant la seconde guerre mondiale (et reconstruite en dépit du bon sens) pour gagner ces sites enchanteurs, qu’ils soient sur la côte, comme le cap Manza, dans les îles égrenées tout autour d’Okinawa-honto, ou dans la jungle.
Durant toute la seconde moitié du XXè siècle, le nom d’Okinawa évoqua avant tout, aux oreilles averties, la bataille particulièrement sanglante qui s’y est déroulée au printemps 1945 entre les forces américaines et japonaises. Bien qu’étant la plus meurtrière de la guerre du Pacifique (plus de 200 000 morts, dont plus de la moitié furent des civils japonais) cette bataille est quasi-absente des livres d’histoire, probablement parce qu’elle déboucha sur un événement plus dramatique encore : Hiroshima et Nagasaki.
Il y a vingt ans, Chris Marker consacra un film à cette étrange bataille, "Level Five", qui mit en lumière l’effroyable stratégie perdue d’avance de l’état-major japonais, lequel poussa sciemment au suicide les habitants de l’archipel plutôt que de se constituer prisonniers… Aujourd’hui, un vaste mémorial évoque, près de Naha, les victimes de la bataille d’Okinawa. Mais plus éloquente encore est la présence américaine sur l’archipel : bien que n’étant plus sous mandat d’occupation US depuis le début des années 1970, Okinawa reste la plus importante base militaire des Etats-Unis de toute l’Asie.
Mais le regard du monde occidental sur Okinawa a changé au tout début des années 2000, lorsque le Dr Makoto Suzuki, publi a, avec deux chercheurs canadiens, les frères Wilcox, ce qui s’imposa un best-seller sur le marché américain dans le domaine de la santé : "The Okinawa Program - How the World's Longest-Lived People Achieve Everlasting Health".
De fait, Okinawa détient le record du monde de centenaires en bonne santé. Non seulement on y vit statistiquement plus longtemps qu’ailleurs, mais surtout on y développe très peu de maladies dites de civilisation (cancer, maladies coronariennes, diabète, Alzheimer). On y meurt… de vieillesse, tout simplement ! Okinawa était connu depuis des millénaires comme « le pays des immortels » : au VIIè siècle, l’empereur de Chine y envoya même des espions pour découvrir le secret de la longévité légendaire de ses habitants ! Un secret finalement percé par ces chercheurs au tournant du XXIè siècle.
Ce secret, quel est-il ? Génétique ? Non : de nombreux habitants d’Okinawa ont émigré au Brésil, où leur espérance de vie s’est dramatiquement réduite. Non, leur secret, c’est tout simplement leur mode de vie. C’est, d’abord, une gastronomie séculaire étonnante, mais qui s’est révélée avoir plein d’atouts santé. En fait, la cuisine traditionnelle à Okinawa a peu de chose à voir avec la gastronomie japonaise : c’est plus fort en goût (parce qu’assez épicé, également), à 80% végétal et souvent très mariné. Une façon simple de reconnaître cette cuisine : ce ne sont ni des sushis, d’importation japonaise, ni des burgers, d’importation américaine… et ça ne ressemble à presque rien de ce que vous connaissez ! Le goya, par exemple, une espèce gros cornichon vérolé, repoussant d’aspect, et au goût amer cru, se révèle non seulement excellent cuisiné, mais être un cocktail d’antioxydants ! De même, les Okinawaïens ont un goût étrange pour… les oreilles de cochon marinées ! Non, ne partez pas en courant. D’abord, c’est délicieux, et surtout, c’est l’une des seules sources naturelles de chondroïtine, un nutriment essentiel dans la prévention de l’arthrose !