La géographie de Venise
La cité de Venise s'étend au nord-est de la péninsule italienne, face à la Slovénie et à la Croatie. La ville est bâtie au milieu d'une lagune totalisant plus d'une centaine d'îles et d'îlots. Outre Venise en elle-même, les plus importantes sont le Lido, Pellestrina, Murano, Burano et Torcello. Fermée par un étroit cordon de terre, la lagune s'est formée grâce à la rencontre de la mer Adriatique et de courants d'eau douce en provenance de plusieurs rivières alpines, et notamment de la Brenta. La main de l'homme a ensuite modifié ce paysage né des alluvions naturelles. Les contours de l'île de Venise (qu'un pont routier relie au continent) ont été façonnés pour une large part par les Vénitiens eux-mêmes, qui n'ont eu de cesse d'étendre leur zone habitable en créant des plateformes soutenues par des piliers de bois ancrés dans la lagune. Un important réseau de canaux sillonne l'ensemble de la ville.
Venise, une lagune fragile
Ibis blancs perchés sur les promontoires rocheux, crabes de vase vendus à la Pescaria (marché au poisson), eaux scintillantes d’un beau bleu turquoise… La lagune est une merveille de la nature, mais une merveille très fragile. On a tendance à la prendre pour un simple bras de mer. Pourtant, il n’en est rien. Le délicat équilibre entre eau douce et eau salée, barene (bancs de sédiments) et marais herbeux a ici donné naissance à une aquaculture unique.
Eau douce et eau salée
La lagune est une vaste cuvette peu profonde, sillonnée de canaux navigables, où les eaux de la mer rencontrent celles de cours d’eau descendant des Alpes. Elle bénéficie de la protection d’un mince chapelet d’îles s’étirant en arc de cercle du nord au sud sur 50 km, qui font barrage aux assauts de l’Adriatique. L’eau de mer pénètre dans la lagune par les trois bocche di porto (entrées de port) qui ponctuent ce chapelet d’îles entre Punta Sabbioni et Chioggia. De l’automne au printemps, il arrive que le sirocco pousse les vagues océaniques vers le golfe de Venise, provoquant des acque alte (hautes eaux). Ce phénomène qui contribue à débarrasser les sédiments et à maintenir l’équilibre eau douce-eau salée, devient de plus en plus fréquent avec le réchauffement climatique. Il menace réellement la survie de la Cité des Doges.
La lagune de Venise est la deuxième plus grande zone humide d’Europe et la plus importante du bassin méditerranéen. Son écosystème fertile nourrit quelque 200 000 oiseaux et des espèces propres à ce type de milieu. Il s’agit d’un environnement en perpétuelle évolution, seul rescapé de l’immense marais Padusa qui s’étendait à l’époque romaine de Ravenne jusqu’à Trieste. Le mot lagune vient du vénitien laguna.
Montée des eaux et érosion
Jusque dans les années 1920, l’intervention humaine permit à la lagune de résister aux forces de la nature. Toutefois, maintenir cet équilibre délicat se révéla incompatible avec le développement de la zone industrielle de Marghera, à l’extrémité sud de la lagune, axé sur les usines chimiques et les raffineries de pétrole. Peu réglementées, celles-ci rejetèrent dans les eaux des dioxines et des métaux lourds, qui perturbèrent gravement l’écosystème fragile. Bien que des lois de protection de l’environnement strictes aient mis fin à ces pratiques dans les années 1980, la lagune reste empoisonnée par les polluants non biodégradables qui ont été rejetés, et qui contribuent à la prolifération du phytoplancton et des algues géantes.
Par ailleurs, pour faciliter le passage des superpétroliers jusqu’à Marghera, de profonds chenaux furent dragués dans les années 1960. Le plus préjudiciable est le Canale dei Petroli, de 100 m de large et 12 m de profondeur. Ces canaux et les bateaux qui les empruntent sont à l’origine de puissants courants transversaux dans la lagune, qui ont au fil du temps aplani les ghebbi (canaux secondaires) et érodé les bancs de sable qui servaient depuis toujours à atténuer la force de la marée. Dans un rapport de 2006 mettant en lumière leur destruction, Lidia Fersuoch, présidente de l’ONG Italia Nostra Venezia, rappelait que les bancs de sable de la lagune avaient “autant besoin d’être protégés que les églises et les palais de Venise”.
Le forage de puits par les industries côtières dans les années 1960 et la baisse de la nappe phréatique du continent ont également contribué à l’affaissement du caranto (couche d’argile formant le fond de la lagune). En outre, la diminution de la superficie des marais salés, passée de 255 km2 au XVIIe siècle à 47 km2 en 2003, a laissé le champ libre au vent : les grosses vagues qu’il soulève ne rencontrent presque plus d’obstacle et endommagent encore davantage le lit de la lagune. Tous ces facteurs aggravent les processus d’érosion et d’évacuation des sédiments, qui transforment lentement la lagune en baie, et constituent une menace sérieuse pour la ville.
S’ajoutent à ce tableau déjà complexe les effets du changement climatique, désormais ressentis dans la lagune : la hausse des températures entraîne une augmentation du niveau du CO₂ dans l’eau, elle-même à l’origine d’une acidification et d’épisodes d’anaérobies. Le système de barrières mobiles du projet MoSE ne fera qu’aggraver ce phénomène en isolant encore davantage la lagune de la mer. En outre, une récente étude bathymétrique de la lagune menée par l’Institut des sciences marines (ISMAR-CNR) d’Italie montre une érosion significative autour des caissons et des plateformes de construction des modules MoSE, et une accumulation des sédiments dans les canaux, amenés par les marées. Cette accumulation est si substantielle dans le Canale dei Petroli (7 millions de m3 extraits entre 2004 et 2012) qu’en décembre 2018, le PALAV, l’autorité régionale responsable de la lagune, a approuvé le renforcement des berges de ce canal avec des palplanches d’acier. L’ONG Italia Nostra avance que cela coupera la lagune en deux et accélérera le processus d’affaissement.
Venise et le tourisme : quel équilibre ?
Sans cesse croissant (20 à 25 millions de visiteurs par an avant la pandémie de la Covid), l’afflux touristique a fini par rendre très difficile la vie dans la plus belle ville du monde. Pour les 53 000 Vénitiens, les difficultés sont multiples : pénurie de logements abordables (Venise détient le record italien du nombre d’Airbnb par habitants), marché du travail réduit et peu rémunérateur, disparition des petits commerces et entreprises, infrastructures et services publics peu soutenus financièrement.
L’Unesco a tiré la sonnette d’alarme, envisageant une éventuelle inscription sur la Liste du patrimoine mondial en péril pour susciter des mesures correctives. Dans son essai Si Venise meurt (Hazan, 2015), l’historien d’art Salvatore Settis analyse la surchauffe touristique plus en profondeur : “On sait ce qu’il en est des fondations fragilisées de Venise, on sait moins ce qu’il en est des autres menaces qui pèsent sur la ville, devenue la coquille vide de tous les excès du divertissement mondialisé“, soulignant que les progrès accomplis en Occident seraient réduits à néant si des cités historiques comme Venise venaient à plier sous le poids du tourisme de masse. Que doit-on faire pour préserver la ville de l’attrait qu’elle suscite dans le monde entier et des dommages croissants sur l’environnement engendrés par les bateaux de croisière et l’acqua alta (hautes eaux) ?
Étape incontournable du Grand Tour au XVIIIe et au XIXe siècles, Venise tient d’ailleurs toujours la vedette avec sa Biennale, qui dure près de six mois, et son carnaval. Mais le tourisme de masse de ces dernières décennies n’est pas adapté à sa réalité géographique : un bout de terre de 2 km2 aux ruelles médiévales d’à peine 2 m de large. Plus les touristes prennent de place, moins les habitants en ont, voire plus du tout. Face à l’injustice de l’exil forcé, la résistance s’est organisée. Des organisations comme Venessia et We Are Here Venice œuvrent pour sensibiliser les gens sur les difficultés rencontrées par les Vénitiens et faire pression sur les politiques. Mais tant que le tourisme dominait, les alternatives semblaient irréalistes.
Puis, en mars 2020, les touristes se sont volatilisés avec l’émergence de la Covid-19. Gioielle Romanelli, qui habite Venise, évoque une atmosphère apocalyptique suite à cette désertion. Claudio Scarpa, directeur de l’association des hôtels, estime la perte à plus d’un milliard d’euros. Difficultés économiques mises à part, la pandémie a néanmoins permis d’entamer un débat nouveau sur le tourisme. Ce qui relevait de l’utopie comme attirer de nouvelles Fondations, des pépinières d’entreprises et des télétravailleurs est devenu non seulement réalisable, mais aussi nécessaire. Les Airbnb vacants sont retournés sur le marché du logement traditionnel et le souffle nouveau de la lagune a souligné sans pitié l’impact dramatique des paquebots sur l’environnement. Et en juillet 2021, le gouvernement italien a fini par interdire aux bateaux de plus de 25 000 tonnes de s’amarrer à Venise.
Les visiteurs eux-mêmes ont leur rôle à jouer dans cette renaissance de Venise, ils doivent se comporter en touristes engagés. En séjournant davantage dans les hébergements touristiques officiels, en mangeant dans les restaurants locaux, en achetant des produits d’artisanat et en explorant la ville et sa lagune, ils peuvent contribuer à améliorer la qualité de vie sur l’île.
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