-
Publié le 10/07/2023 4 minutes de lecture
Georges Moreira est alpiniste et cristallier dans le massif du Mont-Blanc. Avec quelques camarades, il part régulièrement en expédition en haute-montagne à la recherche de quartz et de cristaux rares. Il apparait notamment dans le documentaire La Montagne des cristalliers disponible sur Netflix (26mn), où lui et son équipée trouvent un incroyable « four » à cristaux. Entretien avec un passionné de montagnes qui a gardé intacts ses rêves d’enfants.
Georges, voilà plus de vingt ans que tu tutoies les sommets chamoniards en quête de quartz et de cristaux légendaires. Peux-tu nous raconter ce qu’est un cristallier ? En quoi consiste cette activité ?
Le cristallier, c’est la base de l’alpinisme dans la culture montagnarde. Jacques Balmat, avant de réussir la toute première ascension du Mont-Blanc en 1786, allait chercher des cristaux. Au XVIIe siècle déjà, des écrits attestent que les chasseurs de chamois et les cristalliers allaient chercher des cristaux pour les vendre à Milan et à Genève pour la taille. Avec l’apparition du tourisme, les gens de la montagne se sont mis à en vendre aux touristes et arrondir les fins de mois. Ces cristalliers étaient les premiers à oser braver les démons en haute montagne. À l’époque, il y a presque 250 ans, les gens étaient persuadés que les cimes étaient hantées. Aujourd’hui, bien sûr, on ne pense plus comme cela. Mais la pratique de passer du temps en montagne pour essayer de trouver des fours à cristaux est toujours là. Car il y en a encore !
Qu’est-ce qu’un four à cristaux ?
C’est un trou qui s’est formé dans la roche. Dans le massif du Mont-Blanc, ces fissures sont toujours horizontales, et elles recèlent des quartz qui se sont formés il y a 15 à 18 millions d’années. C’est vraiment vieux. Ce n’est pas comme la cueillette de champignons ! Ça ne repousse pas, et la nature a mis des millions d’années à les faire. Aussi on les manie avec d’infinies précautions.
Comment cette passion des cristaux t’est-elle venue ?
Mon père travaillait dans les galeries EDF aux Mottets à Chamonix, dont on a sorti des tonnes de quartz à l’époque ! Petit, j’ai été bercé par des tas d’anecdotes sur les grosses plaques de cristaux qu’on a sorties de là-bas. Puis j’ai commencé à aller aux cristaux en moyenne montagne, rechercher des petites pointes, des indices, dans les gorges de l’Aveyron, près de la mer de Glace. Plus tard j’ai passé mon diplôme d’accompagnateur en moyenne montagne et j’ai pris les cristaux comme sujet de mémoire. Ça a été l’occasion de m’entretenir avec un guide légendaire de Chamonix, Armand Comte, qui m’a transmis des tas d’infos. Ensuite je suis allé me frotter à la haute montagne avec un collègue, on a vite trouvé des choses, et là ça a été vraiment le début.
Quand tu pars, tu n’es pas tout seul ?
Non, déjà parce qu’être seul, c’est plus limité, notamment en raison de la sécurité. Mais surtout parce que l’intérêt de ces expéditions, c’est le partage et l’aventure qu’on vit à plusieurs. Nous sommes une équipe de trois maintenant. Bien sûr il y a le plaisir de la quête, qui nous pousse à aller chercher toujours un peu plus loin, à rester un peu plus longtemps, qui stimule beaucoup l’imaginaire, mais aussi le plaisir d’être seuls au milieu de zones vierges, loin de tout. On se sent là-haut comme de grands enfants, de grands rêveurs !
Quelles sortes de cristaux peut-on trouver dans la vallée de Chamonix-Mont-Blanc ?
On y trouve des quartz blancs, transparents, assez classiques. Mais la particularité de Chamonix, ce sont les quartz fumés. Plus on monte, plus ils sont fumés et foncés. C’est lié à la radioactivité et à la tectonique des plaques.
On trouve aussi des fluorines rouges ou roses, un cristal que l’on ne voit qu’en Suisse, en Pakistan, en Chine, et un tout petit peu au Pérou. Ce sont de magnifiques pyramides rouges, le Graal du cristallier chamoniard ! Les pièces venant de Suisse et de Chamonix sont les plus belles au monde.
N’importe qui peut aller à la chasse aux cristaux ? Ou est-ce réglementé ?
Il faut être initié. On trouve des cristaux au-dessus de 2400/2500 mètres d’altitude, il faut donc être alpiniste : d’abord accéder aux refuges, et ensuite partir en quête de cristaux.
Il faut signaler aussi qu’à Chamonix, les quelque 90 cristalliers que compte la vallée signent une charte avec la mairie pour avoir le droit d’aller aux cristaux. Nous avons obligation de montrer les pièces d’intérêt majeur ou muséal et de faire un compte-rendu annuel de nos trouvailles. Nous avons en effet dans la commune un magnifique musée des cristaux récemment agrandi et il est important que le grand public puisse voir ces pièces.
Quels sont les équipements et outils autorisés ?
Au niveau des outils, la charte stipule que nous ne pouvons utiliser que ceux-là mêmes qu’utilisaient les anciens il y a 200 ans, c’est-à-dire une massette, un burin, et une tringle avec un crochet pour gratter et ramener délicatement les cristaux vers nous. Pas plus. En Suisse, c’est très différent par exemple. On peut utiliser l’explosif et l’hélicoptère. Il faut savoir que dans le monde il y a environ 4 000 minéraux, et à 95% tout vient des mines, et est le plus souvent extrait au marteau piqueur ou à l’explosif. Travailler comme on le fait à Chamonix est rarissime.
Quelle a été ta plus belle trouvaille ? Et as-tu des cristaux que tu rêves de trouver ?
Le four que l’on voit dans le documentaire renfermait d’incroyables pièces, dont certaines ont été acquises par le musée. Mais après cela, on a fait de très belles découvertes, avec notamment une très grosse fluorine rouge. Dans les quartz rares, nous avons aussi dans la vallée les gwindels, ou quartz peigne, qui ont une torsion qu’on ne sait pas expliquer. Il y a toujours de nouvelles trouvailles, on ne sait jamais sur quoi on va tomber !
Pour la suite je n’ai pas vraiment de to do list, j’aimerais juste passer le plus de temps possible en montagne. C’est au fond ce qui compte le plus, et cela tombe bien car en réalité, on trouve rarement en regard du temps qu’on y passe !