Un futur durable signifie peut-être qu’il faut renoncer à certains voyages en avion

Voyage responsable

Pourquoi j’ai décidé de ne plus jamais prendre l’avion

© Studio Muti / Lonely Planet

Je suis journaliste de voyage et j’ai renoncé à l’avion. C’est peut-être ce que j’ai fait de mieux dans ma vie – pour moi et pour la planète.

Si j’avais su que c’était mon dernier vol, j’aurais sans doute été plus loin que Majorque. L'Antarctique, la Papouasie Nouvelle-Guinée, peut-être. Une destination où on ne va qu’une fois dans sa vie, et qui demande un gros effort pour s’y rendre. J’aurais pris un avion privé vers la Polynésie française, siroté du champagne pendant tout le trajet et débarqué en glissant sur le toboggan d’évacuation d’urgence pour un dernier hourra.Mais les Baléares ? J’y allais pour la sixième fois. Comme les 13,6millions d’autres touristes qui se rendent chaque année en avion sur ce séduisant archipel espagnol, c’est un endroit que j’adore. Les criques paisibles. Les places de village dorées. Les bières glacées dans la chaleur du soir méditerranéen. Tout ça pour un trajet de 6 euros en avion.Mais en 2018, quand j’ai pris ce dernier vol, je n’avais pas encore vu “The Graph”, le graphique des températures moyennes dans le monde depuis 11000ans. Il est alarmant: depuis des millénaires, la température sur la Terre fluctue subtilement, sa courbe ressemble à une chaîne de montagnes. De loin, on dirait un peu les Alpes: une augmentation de 0,1°C ici, une baisse de 0,2°C là, des crêtes et des sommets subtils. Et puis l’ère industrielle commence. Tout à coup, la ligne monte en flèche, et la température grimpe de 0,7°C en un siècle. Je ne m’étais pas encore plongé dans les nombreuses recherches sur le changement climatique en me promenant le long du port de Pollença au crépuscule, je n’avais pas encore conscience de l’urgence de la question en sautant des falaises de Sa Calobra.

L’ampleur du problème

Si on ne jette ne serait-ce qu’un coup d’œil aux données, il est difficile ensuite de détourner le regard. En matière de rejets de carbone dans l’atmosphère, l’aviation est responsable de 2% des émissions mondiales totales, et de 12% des rejets émis par les moyens de transport. Ainsi, si l’aviation émet moins de rejets que, disons, les bateaux de croisières (en 2019, la compagnie Carnival a généré plus de pollution que toutes les voitures en Europe), beaucoup de rejets lui sont quand même imputables.L’un des principaux problèmes, c’est que le nombre de vols devrait continuer à augmenter. Avant la pandémie, le nombre de passagers prenant l’avion augmentait dans tous les pays du monde. Les données de la banque mondiale montrent qu’il y a eu près d’un milliard de passagers dans les avions aux États-Unis en 2019. Et que ceux qui prennent des avions tendent à en prendre souvent. Au Royaume-Uni, 15% de la population a pris 70% des vols, une répartition qui se retrouve dans d’autres pays. Résultat? Les pays du Nord sont responsables de 92% des émissions de carbone excédentaires du monde. Et pourtant, c’est dans les pays du Sud que l’impact du dérèglement climatique se fait le plus durement sentir. Vu sous ce prisme, l’avion est peut-être rapide, pratique et, sur une bonne partie de la planète, relativement abordable. Mais pour le tourisme, il n’est pas vraiment indispensable.

Un écrivain de voyages… cloué au sol

La décision de ne plus prendre l’avion n’a pas été difficile à prendre, mais elle n'était pas très pratique. En tant qu’écrivain de voyages, j’avais souvent à me rendre rapidement et commodément dans différents pays. J’ai visité six continents et plus de 45pays, pris plus de cent fois l’avion. C’est un mode de transport qui semble inhérent à mon travail: j’ai passé des week-ends prolongés en Chine; j’ai pris des vols intérieurs de 45minutes en Inde; j’ai pris un court-courrier pour aller du Brésil à la Bolivie.J’avais déjà entrepris d’autres démarches dans ma vie quotidienne. J’emportais une gourde réutilisable, je jardinais sans outil mécanique, et ne plus prendre l’avion me semblait être une victoire facile pour m’aider à réduire mon empreinte carbone personnelle. Cela fait maintenant quatre ans que je suis “cloué au sol”. Dans l’intervalle, des gens bien plus intelligents que moi (la NASA, le ministère des Transports britannique, Harvard, les Nations Unies, 99% de tous les climatologues) ont refait les calculs et – comme le dit le rapport du GIEC dans sa conclusion– c’est notre dernière chance de sauver l’humanité.Il est important de noter que ne plus prendre l’avion ne m’a pas empêché de voyager. Si nous ne découvrons pas le monde, nous n’aurons pas conscience de ce que nous allons perdre. Il nous faut voyager plus lentement, prendre le temps de découvrir la nature, de nous émerveiller, de rencontrer des inconnus. C’est ce qui fait de nous des êtres humains. Qui contribue à nourrir notre empathie. Et tout cela est possible sans prendre l’avion.

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Une fois qu’on a décidé d’avoir la durabilité toujours en tête, il existe de nombreuses façons de voyager sans quitter le sol. À pied, en bateau, en voiture, ou en train, pour commencer
Une fois qu’on a décidé d’avoir la durabilité toujours en tête, il existe de nombreuses façons de voyager sans quitter le sol. À pied, en bateau, en voiture, ou en train, pour commencer Studio Muti / Lonely Planet

Un futur plus lent et plus durable

Heureusement, je ne suis pas le seul à voir le potentiel qu’offrent les voyages sans avion. Regardez, par exemple, Slow Ways, communauté en ligne reliant chaque ville et village de Grande-Bretagne par un réseau de sentiers de randonnée. En raccordant des sentiers inutilisés et des petites routes méconnues, il devient maintenant plus facile de visiter le pays sans rejeter de carbone. On voit même les premières agences de voyage sans avion apparaître. Ainsi, Byway Travel propose des voyages “lents” vers la Sicile et la côte d'Azur. En Europe, dans le même temps, on développe des projets d’expansion du réseau des trains de nuits sur tout le continent. C’est une époque passionnante pour voyager. Une nouvelle compagnie propose une liaison en bus entre Londres et Delhi en 70 jours. En voilà, une belle aventure! Comme celle de Greta Thunberg qui a traversé l'Atlantique à la voile en 2019. C’est le côté pratique de l’avion qui nous porte tort. Nous oublions que les êtres humains ne représentent qu’une minuscule partie de cette vaste planète et nous devons apprendre à mieux parcourir ce monde qui nous nourrit.Alors, quelle attitude adopter envers les autres voyageurs? Faut-il s’entasser devant les portes d’embarquement pour faire honte publiquement à ceux qui prennent l’avion? Quitter son travail pour traverser à pied en trois mois, lentement mais sûrement, des continents entiers? Cette dernière option est attirante mais ne sera pas donnée à tout le monde. L’industrie du tourisme est un mastodonte. Elle emploie une personne sur dix. Il nous faut plutôt considérer le voyage sans avion non comme un dogme, mais comme un territoire neuf à explorer. Moins prendre l’avion est un point de départ. Rester plus longtemps à destination est un progrès. Circuler en transports en commun ou sans dépenser d'énergie fossile est idéal. Car la réalité est celle-ci: pour la planète, il faut mettre fin à l’usage des énergies fossiles – et vite. Voyager sans prendre l’avion y contribue. C’est joindre les actes à la parole (toujours fluctuante), et cela donne l’espoir de pouvoir préserver certains des plus beaux sites du monde pour les générations futures. Certains experts aéronautiques pensent que les progrès technologiques peuvent être une solution – et ils ont peut-être raison. Beaucoup de cerveaux travaillent à des vols commerciaux qui n’émettraient pas de carbone, dans des sociétés comme Airbus ou Rolls Royce. Mais ces nouveaux avions n’existent pas encore et nous ne sommes pas près de remplacer ceux des quelque 40millions de vols que nous prenons chaque année. Pour l’instant, donc, le meilleur moyen d’avancer est de se rappeler comment les choses se faisaient, avant – avant que nous ne les ayons oubliées. Voyager moins loin de chez soi. Faire du vélo, de la marche, de la voile. C’est comme ça que je voyagerai dans le monde. Je prends des vacances qui me mettent en harmonie avec la planète et me permettent de voir le monde en temps réel. Quand je voyage à hauteur d’être humain, à un rythme d’être humain, cela m’aide à mieux voir le monde. Cet été, J’ai traversé à pied St David's Head dans le Pembrokeshire, là où le Pays de Galles se termine dans la mer. Le temps était humide, pluvieux, un vrai cliché de l’été britannique, mais c’était également magnifique.

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L’auteur, Daniel Fahey, a pris un grand plaisir à randonner dans la campagne galloise
L’auteur, Daniel Fahey, a pris un grand plaisir à randonner dans la campagne galloise Studio Muti / Lonely Planet

D’en haut, je pouvais voir le patchwork des champs, les rouges, les jaunes, les verts des différentes cultures. Et puis la houle violette de la mer d’Irlande, qui sépare le Royaume-Uni et l’Irlande. Qui toussait, crachait sur les falaises en contrebas. Ce spectacle grandiose, cette majesté naturelle, c’est ce qu’il me fallait pour rappeler quelle est ma place en ce monde – et tout ça n’était qu’à un voyage en train de chez moi. J’espère quand même revenir bientôt à Mallorca, en prenant le train de Londres à Paris, puis jusqu’à Barcelone. Et enfin un ferry pour Mallorca. Ce qui prendra environ 36heures au total, plus qu’il n’en faut pour me reposer et recharger mes batteries. Ce ne sera peut-être pas l’Antarctique ou la Papouasie Nouvelle-Guinée, mais je pourrai peut-être vous en parler un jour.

Traduit par : Vincent Guilluy

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