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Publié le 10/04/2018 5 minutes de lecture
Paysage volcaniques saisissants semés de sculptures et de maisons blanchies à la chaux, projets architecturaux uniques… Lanzarote est à elle seule une immense œuvre d’art. L’artiste local César Manrique, aujourd’hui disparu, a marqué de manière indélébile cette île sauvage des Canaries, décuplant ainsi son pouvoir de fascination. La beauté naturelle abstraite qui émane de ces paysages noircis et convulsés n’a certes rien à voir avec un dépliant de vacances, mais l’effort nécessaire pour apprécier cette esthétique insolite est souvent récompensé. Une fois initié, saisi par la beauté de l’île, vous y verrez un vaste musée à ciel ouvert.
La nature comme toile de fond
Tout un chacun ici semble trouver l’inspiration pour embellir le quotidien. Dans la région vinicole de La Geria, par exemple, les vignes courant parmi les amas de roches volcaniques arborent des feuilles verdoyantes qui se détachent avec éclat sur le fond monochrome. Loin de former des rangées bien palissées, les ceps sont plantés en creux derrière un muret semi-circulaire – en pierre volcanique, bien entendu. Vous pourrez visiter la région au terme d’un circuit d’une journée avec un guide local, en faisant escale pour admirer des paysages uniques aux Canaries, avant de vous détendre dans un vignoble paradisiaque, ou consacrer toute une journée à contempler les vignes à perte de vue lors d’un circuit à pied intensif à La Geria. N’oubliez pas votre appareil photo, au cas où vos souvenirs de ces paysages fabuleux seraient un peu nébuleux le lendemain. On ne se lasse pas de photographier ces vignobles idéalement situés, qui laissent imaginer à quoi pourrait ressembler un domaine vinicole sur la lune.

Les similitudes avec la Lune abondent à Lanzarote, en particulier dans le Parque Nacional de Timanfaya. Formé par une éruption volcanique en 1730, ce parc de 51 km2 est un kaléidoscope de cratères et de sommets arides aux tons ocre, brun roux et gris profond. Comme la plupart des attractions de l’île, le restaurant du parc a été soigneusement conçu pour se fondre autant que possible dans le paysage éthéré. Comme tant d’autres choses ici, il est l’œuvre de César Manrique, “fils préféré” de l’île, architecte talentueux et visionnaire.
César Manrique, protecteur de l’île
Né à Arrecife en 1919, Manrique était le plus fervent admirateur de son île. Les habitants le lui rendent bien et, aujourd’hui encore, lui vouent un véritable culte. Après avoir étudié aux États-Unis, il rentra à Lanzarote dans les années 1960. Alarmé par l’essor des complexes touristiques ailleurs en Espagne, il se mit bientôt à redouter que l’architecture lanzaroteña ne suive le même chemin. En collaboration avec les autorités locales, il influença durablement l’esthétique locale. On lui doit entre autres l’absence totale de tours d’hôtels sur l’île. Son empreinte est également perceptible dans les maisons blanchies à la chaux relevées de boiseries vertes ou bleues.

Manrique était un artiste estimé autant qu’un architecte. Son travail avec les autorités locales autour des normes de construction n’était que l’un des éléments du grand projet qu’il nourrissait pour Lanzarote. Ses mots sont restés célèbres : “Pour moi Lanzarote était le plus bel endroit sur Terre. J’ai pris conscience que si les gens pouvaient le voir à travers mes yeux, ils seraient de mon avis.” C’est ainsi qu’il se lança dans la création d’une stupéfiante série de sculptures et de projets architecturaux qui visaient non seulement à éviter d’enlaidir le paysage, mais à s’en servir et à s’y fondre. Ils font désormais partie intégrante du charme de l’île et constituent l’un de ses principaux attraits.
Les incontournables de Manrique
Pour comprendre Manrique et son œuvre, la Fundación César Manrique constitue un bon point de départ. Aménagé autour d’anciennes bulles volcaniques et de tunnels, ce bâtiment fut habité par l’artiste pendant 20 ans, puis transformé en musée juste avant sa mort en 1992. Il incarne tout à fait l’idéal de l’artiste. Ses murs et ses sols lisses blanchis à la chaux offrent un contraste saisissant avec la roche volcanique, sans que rien n’ait été ni détruit ni altéré pour l’aménagement de la demeure souterraine. Dans cet espace cohabitent gracieusement des œuvres de Picasso, Sempere et, bien sûr, des tableaux et dessins de Manrique lui-même, tandis que les grandes baies vitrées mettent en valeur le paysage naturel qui a inspiré son œuvre.

Les Jameos del Agua sont souvent considérés comme le chef-d’œuvre de Manrique. Il s’agit d’un autre réseau de grottes souterraines transformées en salle de concert. Le fameux lac bleu cobalt qu’elles renferment s’est formé il y a bien longtemps lorsque l’océan Atlantique a pénétré dans la grotte – à ne pas confondre avec le bassin d’un blanc scintillant situé à l’extérieur, agrément très apprécié ajouté à l’ensemble par Manrique.
Un héritage pérenne
Le village traditionnel de Haría, bordé d’arbres, abrite la Casa Museo César Manrique, où l’artiste a vécu ses derniers jours. Ce sanctuaire-musée est resté intact depuis la mort de Manrique dans un accident de voiture, y compris l’atelier encombré où trône sinistrement un tableau inachevé. Pour admirer des toiles de l’artiste, rendez-vous au Museo Internacional de Arte Comtemporàneo d’Arrecife. La collection d’art moderne insuffle un air juvénile au Castillo de San José (XVIIIe siècle). Elle regroupe des œuvres de Manrique et de ses contemporains, notamment Joan Miró et Manolo Millares. En écho au goût de Manrique pour les paysages insulaires, le restaurant du rez-de-chaussée sert de copieux déjeuners agrémentés d’une merveilleuse vue sur l’océan Atlantique. Si les œuvres de création de Lanzarote ne sont pas toutes de Manrique, elles constituent bien souvent un hommage à ce dernier. Lanzarote baigne tellement dans l’art qu’une partie des œuvres est littéralement immergée : plus au sud, à 12 m sous la mer, le Museo Atlàntico est le dernier projet artistique en date. Seuls les plongeurs diplômés accompagnés d’un guide local auront le privilège de découvrir cette collection de sculptures sous-marines : le britannique Jason de Caires Taylor a installé là son musée aquatique en 2016. À l’instar des œuvres précédentes de l’artiste, ces sculptures vont au-delà d’un projet purement esthétique. Le ciment à pH-neutre utilisé constitue un récif artificiel favorable au développement des espèces et vise à protéger les fonds marins de Lanzarote, en écho aux efforts de Manrique pour préserver ses montagnes, ses collines et sa côte.

Ce sont peut-être les Lanzaroteños eux-mêmes, totalement dévoués à Manrique, qui attestent le mieux de son influence. Ils tiennent l’architecte en haute estime – il est presque considéré comme un saint sur l’île –, adhèrent à son projet et partagent son amour profond pour l’île. Ils le voient comme celui qui a sauvé Lanzarote des ravages du tourisme de masse en évitant que des tours disgracieuses ne défigurent le paysage. Ils reconnaissent que l’île est son véritable chef-d’œuvre et témoignent de leur gratitude en continuant à protéger et à exalter la beauté surnaturelle de celle-ci.
Traduit par : Anna Alvarez