
La terre volcanique ondoyante de la vallée de La Geria, à Lanzarote, est éclaboussée de belles taches de couleur. © © Bildagentur-online / Getty Images
Texte par
Lucy Corne (traduit de l'anglais par Anna Alvarez)
Mis à jour le : 10 avril 2018
Paysage volcaniques saisissants semés de sculptures et de maisons blanchies à la chaux, projets architecturaux uniques… Lanzarote est à elle seule une immense œuvre d’art. L’artiste local César Manrique, aujourd’hui disparu, a marqué de manière indélébile cette île sauvage des Canaries, décuplant ainsi son pouvoir de fascination. La beauté naturelle abstraite qui émane de ces paysages noircis et convulsés n’a certes rien à voir avec un dépliant de vacances, mais l’effort nécessaire pour apprécier cette esthétique insolite est souvent récompensé. Une fois initié, saisi par la beauté de l’île, vous y verrez un vaste musée à ciel ouvert.
Tout un chacun ici semble trouver l’inspiration pour embellir le quotidien. Dans la région vinicole de La Geria, par exemple, les vignes courant parmi les amas de roches volcaniques arborent des feuilles verdoyantes qui se détachent avec éclat sur le fond monochrome. Loin de former des rangées bien palissées, les ceps sont plantés en creux derrière un muret semi-circulaire – en pierre volcanique, bien entendu. Vous pourrez visiter la région au terme d’un circuit d’une journée avec un guide local, en faisant escale pour admirer des paysages uniques aux Canaries, avant de vous détendre dans un vignoble paradisiaque, ou consacrer toute une journée à contempler les vignes à perte de vue lors d’un circuit à pied intensif à La Geria. N’oubliez pas votre appareil photo, au cas où vos souvenirs de ces paysages fabuleux seraient un peu nébuleux le lendemain. On ne se lasse pas de photographier ces vignobles idéalement situés, qui laissent imaginer à quoi pourrait ressembler un domaine vinicole sur la lune.
Né à Arrecife en 1919, Manrique était le plus fervent admirateur de son île. Les habitants le lui rendent bien et, aujourd’hui encore, lui vouent un véritable culte. Après avoir étudié aux États-Unis, il rentra à Lanzarote dans les années 1960. Alarmé par l’essor des complexes touristiques ailleurs en Espagne, il se mit bientôt à redouter que l’architecture lanzaroteña ne suive le même chemin. En collaboration avec les autorités locales, il influença durablement l’esthétique locale. On lui doit entre autres l’absence totale de tours d’hôtels sur l’île. Son empreinte est également perceptible dans les maisons blanchies à la chaux relevées de boiseries vertes ou bleues.
Pour comprendre Manrique et son œuvre, la Fundación César Manrique constitue un bon point de départ. Aménagé autour d’anciennes bulles volcaniques et de tunnels, ce bâtiment fut habité par l’artiste pendant 20 ans, puis transformé en musée juste avant sa mort en 1992. Il incarne tout à fait l’idéal de l’artiste. Ses murs et ses sols lisses blanchis à la chaux offrent un contraste saisissant avec la roche volcanique, sans que rien n’ait été ni détruit ni altéré pour l’aménagement de la demeure souterraine. Dans cet espace cohabitent gracieusement des œuvres de Picasso, Sempere et, bien sûr, des tableaux et dessins de Manrique lui-même, tandis que les grandes baies vitrées mettent en valeur le paysage naturel qui a inspiré son œuvre.
Le village traditionnel de Haría, bordé d’arbres, abrite la Casa Museo César Manrique, où l’artiste a vécu ses derniers jours. Ce sanctuaire-musée est resté intact depuis la mort de Manrique dans un accident de voiture, y compris l’atelier encombré où trône sinistrement un tableau inachevé. Pour admirer des toiles de l’artiste, rendez-vous au Museo Internacional de Arte Comtemporàneo d’Arrecife. La collection d’art moderne insuffle un air juvénile au Castillo de San José (XVIIIe siècle). Elle regroupe des œuvres de Manrique et de ses contemporains, notamment Joan Miró et Manolo Millares. En écho au goût de Manrique pour les paysages insulaires, le restaurant du rez-de-chaussée sert de copieux déjeuners agrémentés d’une merveilleuse vue sur l’océan Atlantique.
Si les œuvres de création de Lanzarote ne sont pas toutes de Manrique, elles constituent bien souvent un hommage à ce dernier. Lanzarote baigne tellement dans l’art qu’une partie des œuvres est littéralement immergée : plus au sud, à 12 m sous la mer, le Museo Atlàntico est le dernier projet artistique en date. Seuls les plongeurs diplômés accompagnés d’un guide local auront le privilège de découvrir cette collection de sculptures sous-marines : le britannique Jason deCaires Taylor a installé là son musée aquatique en 2016. À l’instar des œuvres précédentes de l’artiste, ces sculptures vont au-delà d’un projet purement esthétique. Le ciment à pH-neutre utilisé constitue un récif artificiel favorable au développement des espèces et vise à protéger les fonds marins de Lanzarote, en écho aux efforts de Manrique pour préserver ses montagnes, ses collines et sa côte.