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Publié le 19/10/2017 6 minutes de lecture
Dans le monde hispanophone et au delà, le Chili est réputé être "país de poetas", un pays de poètes. Cette réputation est en partie due au fait que deux Chiliens ont reçu le prix Nobel de littérature pour leur poésie. Gabriela Mistral a été la première, en 1945, mais c’est le second prix Nobel chilien, Pablo Neruda, qui a permis d’affirmer la position de cette nation sud-américaine comme place forte de la poésie. Parcourir les lieux qui ont inspiré un des poètes les plus largement traduits du vingtième siècle est une des expériences les plus intenses et vivaces que peut offrir la culture chilienne.
Des portes ouvertes sur l’âme poétique chilienne
Un voyage pour découvrir l’âme de ce pays battu par la mer qu’est le Chili ne peut vraiment se concevoir sans se plonger dans la vie et dans l’héritage laissé par le truculent Neruda. L’Académie suédoise a déclaré, en décernant le plus prestigieux prix littéraire de la planète au poète en 1971, qu’il “donnait vie aux rêves et au destin d’un continent” mais si son œuvre chante toute l’Amérique Latine, du Mexique auMachu Picchu et à la Patagonie, c’est sur le Chili qu’il a le mieux et le plus écrit. Les paysages du pays l’ont aidé à écrire ses plus belles pages, et aucun endroit n’a aussi bien inspiré sa muse que les lieux où il a vécu.Neruda a eu dans sa vie trois maisons au Chili, et c’est là que l’esprit de l’homme – et du pays tout entier, par bien des manières – brille encore du plus vif éclat, 44 ans après sa mort. Les anciennes demeures du poète se trouvent respectivement dans le quartier bohème de Bellavista à Santiago, dans le port rude et animé qu’est Valparaiso, et dans le refuge idyllique d’Isla Negra, sur la côte déchiquetée, 70 km plus au sud. Incroyablement étiré sur 4 250 km du Nord au Sud, le Chili abrite de nombreux sites naturels plus connus, mais ces trois destinations photogéniques de la zona central du pays offrent un aperçu intéressant de sa culture.

La Chascona, Bellavista, Santiago
Quartier bohème de la capitale chilienne depuis un demi-siècle, Bellavista jouit de la belle vue que son nom évoque. Regroupées sur les flancs de la deuxième plus haute colline de Santiago, le Cerro San Cristobal (880 m), ses jolies maisons aux couleurs acidulées abritent un ensemble étourdissant de restaurants et de bars. Mais son charme avant-gardiste est né après que son premier habitant célèbre, Neruda, s’y soit installé dans les années 1950.Bâtie sur plusieurs niveaux, sur les pentes raides du haut de la colline en direction des montagnes chiliennes, avec un torrent qui traverse son terrain, la Casa La Chascona, selon l’affirmation de Neruda, est assez proche du zoo du Cerro San Cristobal pour qu’on y entende les lions rugir. Le poète fit construire la maison comme refuge pour lui et sa maîtresse d’alors (et future épouse), Matilde Urrutia. Son influence sur la construction fut flamboyante et immédiate : en voyant les plans de l’architecte qui imaginait la maison faire face au soleil de matin et à la ville en contrebas, Neruda la réorienta pour qu’elle puisse donner sur les Andes. La résidence devint un rêve fou de poète. Neruda était collectionneur et ses demeures, comme sa poésie, furent toutes des reflets de ses collections.


La Sebastiana, Valparaíso
Neruda avait tant à dire sur son bien-aimé Valpo, le port vieillot et excentrique de Valparaíso. Ses ruelles entrelacées et ses ascensores (funiculaires) brinquebalants qui remontent les flancs de montagnes abruptes hantaient son imagination plus que ne pouvait le faire la capitale. “Santiago est une ville captive derrière des murs de neige. Valpo ouvre grand ses portes à la mer infinie, aux cris de ses rues, aux yeux des enfants”, disait-il. Comme beaucoup de maisons de Valparaíso, La Sebastiana est en retrait, au bout d’un labyrinthe de passages raides, en équilibre précaire sur les pentes qui dominent le port.


Casa de Isla Negra, Isla Negra, El Quisco
Au sud de Valparaíso, sur la côte rocheuse, Isla Negra est une région qui attire les riches habitants de Santiago à la recherche d’escapades marines, un endroit paisible de villégiature, de délicieux restaurants de produits de la mer et de fortes vagues. On y trouve une petite communauté d’écrivains et d’artistes, installée bien sûr à la suite de Neruda, ancien résident, qui passait la majeure partie de son temps dans sa maison ici quand il était au Chili.De ce fait, la Casa de Isla Negra abrite plus d’objets lui ayant appartenu que ses autres maisons poétiques. Comme des vitrines présentant avec art des trésors de l’océan Pacifique qui se seraient échoués au Chili, les pièces sont pleines de figures de proue, d’ancres, de cartes marines et de coquillages. Neruda a décrit comment il observait les débris de naufrage apportés ici par la marée ; une fois, la mer a même rejeté un bureau de navire, qu’il utilisa par la suite pour écrire.

Traduit par : Vincent Guilluy