Un voyage périlleux et magique à Rincon del Mar

Reportages

Tour du monde épisode 5 : Une nuit sous les étoiles

© Elodie Rothan

Le soleil se couche sur Rincon del Mar, petite localité méconnue de la côte caribéenne. Nous embarquons alors à la découverte du fameux plancton bioluminescent : cet organisme vivant a la particularité de produire de la lumière lorsqu’il est en mouvement.

L’eau est noire. Dans la lagune, le bateau tangue sous les étoiles. Les vaguelettes obscures ne m’inspirent pas grand-chose, mais j’inspire et je saute.Je suis une fée. Chaque mouvement de mon bras provoque une trainée lumineuse. Je jette des étincelles à chaque brasse, je baigne dans la lumière, j’irradie. « Maman, regarde mes paillettes ! » me lance Coline, ma petite magicienne d’eau auréolée de perles scintillantes. Sa peau ruisselle de diamants et l’on rit devant ce mirage fabuleux. Louis et Edgar s’extasient de leur nouveau pouvoir. De brillants filaments les drapent d’une cape flamboyante. Nous crions tous comme des enfants. Nous nageons littéralement dans une Voie Lactée et au-dessus de nous le ciel (mais est-il bien au-dessus ?), immense, est le miroir idéal de cet instant magique. Nous pourrions planer ainsi 1000 ans.

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Le phénomène du plancton lumineux va vous émerveiller !
Le phénomène du plancton lumineux va vous émerveiller ! PawelG Photo - iStock
Mais il nous faut quitter ce sanctuaire enchanté pour un retour plus périlleux. Dans la nuit, seulement guidé d’une mince lampe de poche, le conducteur se fraie un chemin à travers la mangrove, écorchant au passage sa barque – et accessoirement ses passagers. Au débouché, nous atteignons la mer des Caraïbes. Ce soir, elle ne ressemble pas du tout à son image de carte postale. Elle est sombre, agitée, mauvaise. Le moteur de notre mince lancha vrombit et l’affronte. Le moteur faiblit. 1 fois. S’arrête. 2 fois. Reprend. 3 fois. Je distingue le capitaine maugréer dans sa barbe, trifouiller des fils électriques dégoulinants d’eau salée, redémarrer tant bien que mal. La bête grogne, repart de plus belle. La houle est puissante, le vent violent, c’est un grand désordre, nous sommes arrosés, trempés, le visage frappé d’écume. Le bateau fait des bonds énormes, tangue dans tous les sens, les vagues arrivent de toute part, il ne voit rien, c’est évident. Il ne voit pas quelle vague arrive, de quel côté, à quelle hauteur.J’agrippe mon fils par les minces cordelettes de son gilet trois fois trop grand. J’essaie d’attraper une prise ferme, tenace, « si nous chavirons il ne faut pas que je le lâche, c’est la priorité. Si je suis assommée » ... Il ne voit rien, il ne peut rien voir. Mais il est habitué, non ? Il est né avec la mer, il a grandi avec elle, il la connait tous les jours de sa vie. Je regarde le ciel. Les étoiles sont imperturbables. Le moteur reprend de plus belle, la lancha tranche la houle avec agressivité, les à-coups frappent l’eau comme du béton, nous sommes sur un manège infernal. Les accélérations provoquent des chocs si brutaux que l’embarcation pourrait se briser, je n’en serais pas étonnée. A l’avant, Louis et Coline font des sauts monstrueux et sont, d’un coup, propulsés : une des planches d’assise s’est déboitée et vole sur l’arrière. Tout, ici, est de bric et de broc : les gilets, les bancs, la lampe torche, le moteur... Les Colombiens ont traversé la guerre, les menaces, les expulsions : peu leur importe les risques d’une traversée de trop, ils profitent du flot d’euros déversé par les touristes ingénus. Que nous sommes. Nous sommes pris au piège, il est trop tard.Je regarde les visages autour de moi : ils dégoulinent de sel, d’eau, de sueur, de peur. L’accélération est trop vive, les coups trop puissants, cela va éclater, c’est évident, nous allons nous désintégrer sur place. Mon fils... « Attention ! Il y a des enfants à bord ! » lance ma voix dans un espagnol approximatif. « Il y a aussi des adultes », me répond en substance la vieille dame assise à mes côtés depuis le début du trajet et à qui j’ai prêté mon bras pour éviter quelques branches dans les mangroves. « Des adultes ? ». Je la regarde. Je ne comprends pas ses paroles. Veut-elle me signifier que la vie des adultes vaut tout autant que celle des enfants ? Ai-je fait preuve d’égoïsme à ses yeux en me préoccupant des miens ? Je la regarde, agrippant mes pauvres cordelettes et elle me regarde sans sourire, sans rien, je ne sais pas ce qu’elle dit, cela ne pénètre pas mon cerveau. Je veux bien aider qui vous voulez mais je serai prête à couler la terre entière pour sauver mon fils – et je fais confiance à Louis pour faire de même à l‘avant avec ma fille. Je ne comprends pas cette phrase et cette incompréhension est telle qu’elle suspend, un instant, mon angoisse.
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piola666 - iStock
Au loin, une lumière sur la gauche clignote. « Une lancha ! » lance le capitaine, qui vire de bord et se dirige vers la mince lueur. Dans la pénombre, une barque à la dérive envoie ses faibles SOS. Ils sont 10, 15, 20, je ne sais pas. Ils sont ainsi, chahutés par les flots, dans le noir total, depuis une bonne heure. Nous les accostons et les aidons de notre mieux à grimper à bord. Ils sont livides, muets. « Aujourd’hui, c’est pour vous, un autre jour, ce sera pour nous », me murmure la vieille dame à côté de moi. Je ne sais pas combien nous sommes désormais mais ce qui est clair, c’est nous avons dépassé le chargement maximal. Appesanti, inondé, lourd, le bateau lutte pour avancer à flot et tangue dangereusement. Cherchant avec anxiété une lumière indiquant quelque part, n’importe où, au loin, la terre ferme, je garde les yeux ouverts entre deux jets salés. Je ne peux rien faire, je suis totalement dépendante. Je sers mon fils plus fort encore. Il s’est protégé sous deux couches de serviette et de k-way : ils sont par-dessus lui – si nous basculons, il faudra penser à les enlever – mais aurais-je le temps ? Je lève les yeux au ciel, toujours aussi immobile, limpide, impassible. Et toute immense proportion gardée, je me dis qu’une minuscule part de cette terreur s’apparente de loin à ce que vivent ces hommes, ces femmes, ces enfants qui traversent nos mers européennes durant des jours et des nuits, affamés, serrés sur des embarcations de fortune, sans recevoir aucune bienveillance, sans être attendus nul part, avec pour seul moteur l’espoir du désespoir. Là, sur la mer paradisiaque des Caraïbes, après avoir scintillée comme une magicienne, je me sens singulièrement proche des plus démunis. Ou plutôt j’entrevois un pâle reflet de l’horreur qu’ils vivent.
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« T’es-tu alors identifiée aux migrants ? »
« T’es-tu alors identifiée aux migrants ? » Joel Carillet - iStock
Nous rentrerons saufs. Je verrai les visages se détendre, les sourires, le bonheur d’un pied posé sur la terre ferme. Je verrai la tension évacuer les corps comme un fantôme détalant à toute jambe. Et les regards échangés comme preuve de la solidarité dans l’épreuve. Des semaines plus tard, demeurera le souvenir d’une frayeur fugace, que l’on raconte comme une bonne histoire, une anecdote croustillante du voyage qui maintenant fait rire. L’image d’un bain de nuit magique restera gravée : notre mémoire possède cette stupéfiante faculté d’amenuisement, de transformation du terrible en dérisoire. Il est difficile sans doute de partager ses peurs. Une sorte de pudeur les enveloppe. Ou alors est-ce la crainte de la couardise qui les grime en dérision ? Elle était blonde et me regardait de ses grands yeux bleus, semblait indifférente à mon ricanement et me dit : « T’es-tu alors identifiée aux migrants ? ». Malgré ma réponse embarrassée, fuyante, je la remercie encore d’y avoir pensé.

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