Découvrez le récit d'Astrid Duvilard sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle.

Reportages

D'Orléans à Santiago, 1 800 km sur le chemin de Compostelle

© Gina Theodoropoulou - Lonely Planet

À l’heure où je m’apprête à me lancer à l’assaut des 1 800 km de marche, menant à Saint-Jacques-de-Compostelle, je n’ai jamais randonné. Pour être tout à fait honnête, je n’ai pas la moindre idée des épreuves qui m’attendent. Gina, mon acolyte grecque, qui me suit dans cette folle aventure non plus. Mais l’une comme l’autre, nous ressentons une forte envie de nous confronter au vertige des kilomètres. Aux grands espaces. À l’entière liberté.

Sur les quais de la Loire, au cœur d’Orléans, ma ville natale, quelques proches sont venus nous souhaiter bon voyage. Nous sourions, mais pour nous l’heure n’est pas à la fanfaronnade. Sous une météo caniculaire, nous nous apprêtons à gagner Bourges, où nous rejoindrons d’ici peu la voie de Vézelay, un itinéraire peu fréquenté des pèlerins qui nous semble particulièrement séduisant. Durant nos premiers jours de marche, nous devons donc évoluer en dehors du chemin de Compostelle, et nous savons que traverser à pied la Sologne – et ses clôtures – ne sera pas de tout repos. Heureusement, le plan sera ensuite des plus simples : rejoindre Saint-Jean-Pied-de-Port et la frontière espagnole, puis nous laisser porter par les balises du Camino Frances, jusqu’à Santiago de Compostela.

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Lentement mais sûrement, tel est le secret de l'endurance des pèlerins.
Lentement mais sûrement, tel est le secret de l'endurance des pèlerins. Gina Theodoropoulou - Lonely Planet

L’art de voyager chez soi

Je viens de terminer un tour du monde en auto-stop, de plusieurs années, mais c’est incontestablement le Camino qui me promet de vivre la plus belle des aventures. Une aventure extraordinaire, faite de journées bien ordinaires et de tout petits riens. Trouver une boulangerie ouverte au petit matin, assister au lever du soleil, déceler sous la brume la silhouette de chevreuils, pique-niquer à l’ombre d’un peuplier, se rincer à l’eau claire des rivières, monter le bivouac sauvage à la nuit tombée : le bonheur n’a nul besoin d’extravagance.

Ce voyage, empreint de poésie, s’accompagne de rituels replaçant notre courte marche dans la grande histoire jacquaire, vieille de plus d’un millénaire. Ainsi, chaque jour, nous devons faire tamponner notre Crédentiale, une sorte de passeport du pèlerin, qui permet d’obtenir des réductions et d’accéder à des hébergements à moindre coût. C’est aussi ce document que chacun doit présenter à son arrivée à Santiago, afin de pouvoir retirer au bureau officiel la Compostela, un diplôme certifiant avoir randonné sur le Camino plus de 100 km à pied (ou 200 km à vélo). Dormant sous tente, nous demandons quotidiennement aux cafetiers et épiciers d’avoir la gentillesse d’apposer leur signature sur notre précieux sésame.

Cahin-caha, et après cinq jours teintés de péripéties, nous atteignons Bourges, où nous découvrons avec joie la signalétique de la voie de Vézelay. Je peine à réaliser que nous avons marché jusqu’ici, et pourtant, ce n’est que le début de notre périple !

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Voir le jour se lever, l'un des bonheurs du pèlerin.
Voir le jour se lever, l'un des bonheurs du pèlerin. Astrid Duvillard - Lonely Planet

Traverser la France à pied

Issoudun, Châteauroux, Crozant, Saint-Léonard-de-Noblat, Limoges… Notre épopée au cœur de l’Hexagone se déroule assurément hors sentiers battus. En outre, nous marchons le plus souvent en silence, apprivoisant ainsi la solitude. Un vaste programme.

Pas à pas, nous apprenons à lâcher prise face aux éléments – une averse, une nuée de moustiques, un soleil de plomb. Une routine méditative s’installe d’ailleurs et une phase introspective ne tarde pas à percer nos carapaces, nous invitant à nous redécouvrir sous un autre jour, dans le plus grand dépouillement, pour le meilleur… et pour le pire.

Périgueux, Bergerac, Roquefort, Mont-de-Marsan, Saint-Palais… En un mois, nous ne croisons qu’une dizaine de pèlerins. Mais maintes rencontres informelles avec les habitants de villages traversés ponctuent notre avancée victorieuse vers le sud. Certains nous jettent un « Buen Camino » de leur fenêtre, tandis que d’autres remplissent notre gourde, ou nous offrent généreusement une glace. De petites attentions qui nous font grande impression.

Soudain se dressent face à nous les hauteurs des Pyrénées, suffisamment intimidantes pour venir chatouiller tout trop-plein de confiance en soi. Serons-nous capables de marcher par-delà les montagnes ? Nous le saurons bien assez tôt. Pour l’instant, direction Saint-Jean-Pied-de-Port !

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Voyager léger nécessite de faire des choix.
Voyager léger nécessite de faire des choix. Astrid Duvillard - Lonely Planet

Changement d’ambiance aux portes de l’Espagne

C’est en s’attaquant au dénivelé que l’on saisit tout l’intérêt de voyager léger. Si nos sacs à dos ne comportent désormais que le nécessaire, nous profitons de notre passage à Saint-Jean – comme aiment à surnommer les pèlerins la capitale historique de Basse-Navarre – pour peaufiner notre trousse à pharmacie. Nous délaissons nos bandages superflus, et autres « au cas où », en faveur d’un petit stock de pansements et de sparadraps, destinés à protéger notre chair déjà meurtrie de nouvelles ampoules.

Toutefois, il faut reconnaître que semaine après semaine, notre corps s’est adapté à l’effort. Les courbatures ont disparu, tout comme le sentiment de fatigue omniprésent, qui couronnait le début de notre aventure. Pour notre plus grand plaisir, ces désagréments ont laissé place à d’importants besoins calorifiques, et c’est sans prendre un gramme que nous venons d’effectuer une véritable tournée des boulangeries de France, dévalisées à chacune de nos visites.

Saint-Jean se révèle l’étape la plus marquante de notre voyage. Sans transition, nous basculons d’une absolue solitude à la cohabitation avec quantité de pèlerins. Certes, cela nécessite un certain temps d’adaptation, mais nous sommes heureuses d’avoir enfin un peu de compagnie. C’est donc bien entourées que nous quittons le centre médiéval coquet de la ville sertie de remparts, et prenons la direction du col de Roncevaux.

Ce passage montagneux, qui culmine à 1 056 m d’altitude et qui offre une multitude de points de vue imprenables sur les Pyrénées, égrène un infini chapelet de marcheurs et de chevaux sauvages. Nous poussons la porte de l’Espagne, sans même nous en apercevoir, et atteignons Roncevaux, étonnées. Un panneau nous indique qu’à partir d’ici, nous ne sommes plus qu’à 790 km de Santiago ! Ultreïa, Suseïa : toujours plus loin, toujours plus haut ! À notre arrivée, nous demandons à l’accueil de la collégiale de Santa María l’autorisation de planter notre tente, puis nous nous offrons le luxe d’une douche, contre quelques euros, au sein du refuge voisin accueillant une foule de peregrinos.

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Partout sur le chemin, de petits clins d'oeil sont adressés aux pèlerins.
Partout sur le chemin, de petits clins d'oeil sont adressés aux pèlerins. Astrid Duvillard - Lonely Planet

Nos débuts sur le Camino Frances

En parfaite forme physique, et pleines d’engouement, nous voici maintenant en Espagne, où les pépites historiques sont légion. Pamplune et sa pittoresque Plaza del Castillo, où se presse en toutes occasions une incroyable marée humaine ; Puente la Reina, qui tire son nom de son vieux pont roman, et dont le développement urbain est intimement lié à celui du Camino de Santiago ; Logroño, au cœur de la Rioja, région dont les vins ont fait tourner la tête de bien des pèlerins ; ou encore Burgos, étape majeure du chemin, avec sa cathédrale qui figure parmi les joyaux de l’art religieux espagnol.

Les options d’hébergements sont devenues nombreuses, et entre deux bivouacs, nous passons régulièrement la nuit dans un donativo (dortoir pour pèlerin, à prix libre). L’occasion de consolider notre amitié naissante avec deux Italiens, Laura et Ignacio, que nous ne quitterons plus jusqu’à Santiago.

Ensemble, nous forçons parfois le pas, appréciant davantage notre arrivée au refuge… où le simple fait de nous assoir procure alors à chacun une joie intense ! Le Camino : un profond voyage vers l’essentiel.

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La fameuse Cruz de Ferro, où sont entassées les pierres portées par les pèlerins.
La fameuse Cruz de Ferro, où sont entassées les pierres portées par les pèlerins. Gina Theodoropoulou - Lonely Planet

Compostelle en été, un choix hasardeux

Par endroits, sous le soleil du mois d’août, l’asphalte se met à fondre, et entre deux orages impressionnants, nous rôtissons gaiement. C’est loin d’être la période idéale pour se confronter à la redoutable Meseta, un plateau isolé du nord de l’Espagne, où l’ombre se fait rare – une belle opportunité de parfaire notre singulier bronzage des mollets et des avant-bras. D’ailleurs, beaucoup de pèlerins franchissent en autobus ce brûlant obstacle.

À cause de la canicule, nous faisons le choix de marcher de nuit, lors d’une parenthèse hors du temps. Éclairée à la lueur de nos lampes frontales, notre lente procession chemine solennellement vers les ruines de l’ancien monastère de San Antón, où nous avalons du pain et un peu de soupe, puis volons quelques heures de sommeil.

Kilomètre après kilomètre, nous gagnons ensuite la majestueuse León, ville dotée d’un patrimoine architectural d’exception, dont la cathédrale à la dentelle de pierre et aux vitraux époustouflants nous laisse un souvenir impérissable. Les dernières étapes se succèdent alors à une vitesse folle : Astorga et son Palacio de Gaudí, qui revêt une allure de conte de fées ; la Cruz de Ferro, célèbre croix au pied de laquelle les pèlerins jettent leur caillou (symbolisant ce qui pèse sur leurs épaules) ; Ponferrada et son château médiéval des Templiers ; O Cebreiro et ses pallozas, d’étranges huttes rondes, typiques de Galice. Et avec la Galice surviennent les prémices d’inévitables pincements au cœur.

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L'arrivée face à la cathédrale de Compostelle est toujours émouvante.
L'arrivée face à la cathédrale de Compostelle est toujours émouvante. Astrid Duvillard - Lonely Planet

L’arrivée à Saint-Jacques-de-Compostelle

Boire, manger, dormir, en embrassant un rythme humain : le secret du bonheur est bien dérisoire. Pourtant, nous savons que d’ici quelques jours, chacun aura troqué ses chaussures de marche, sa polaire et son tour de cou contre une cravate, un costume noir et des souliers cirés. Drôle d’issue pour un voyage initiatique, mais il faut croire que la réalité finit toujours par nous rattraper. D’ailleurs, durant les derniers kilomètres, nous nous retrouvons englués dans une épaisse nuée de randonneurs. Désormais, chaque matin, des autobus viennent vomir aux abords du chemin leur flot de marcheurs, propres comme un sou neuf.

Nous ne parvenons pas à nous accoutumer si rapidement à cet excès de civilisation. Alors, nous gardons en tête, comme un mantra, que nous devons accepter le chemin tel qu’il est. En somme, une belle allégorie de la vie… Ce qui ne nous empêche pas d’échapper discrètement à notre destin, et d’entamer une nouvelle étape de nuit, afin de profiter une dernière fois du Camino dans une parfaite solitude !

Gagnés par l’émotion, nous voici arrivés face à la cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle, qui s’élève magistralement sur la Praza do Obradoiro. Ce chef-d’œuvre d’architecture romane, maintes fois remanié, abrite la sépulture de l’apôtre Jacques, vers laquelle cheminent depuis des siècles les pèlerins éreintés. Dès lors, le temps s’accélère. Nous nous rendons au bureau des peregrinos afin de retirer notre Compostela, bien méritée, puis nous terminons la journée par une soirée d’adieux, avec nos compagnons de fortune. Les souvenirs de repas partagés dans une joyeuse camaraderie fusent, des pintxos (tapas basques) au poulpe galicien, en passant par une quantité indécente de bocadillos (sandwiches espagnols).

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Le phare de Fisterra, d'où on ne peut marcher plus loin.
Le phare de Fisterra, d'où on ne peut marcher plus loin. Astrid Duvillard - Lonely Planet

En marche vers l’océan

Pour terminer l’aventure en douceur, Gina et moi nous offrons trois jours de randonnée supplémentaires. Il semblerait que nous ayons besoin de respirer, une dernière fois, ce singulier mélange de parfums de terre, de sueur et de camphre. Nous mettons le cap sur Fisterra, localité située à la pointe de la Costa da Morte, où les pèlerins brûlaient jadis leurs vêtements, avant de s’octroyer un purifiant bain de mer.

Enfin, après soixante-sept jours de marche, nous atteignons émues le phare le plus occidental d’Europe. Nous contemplons l’Atlantique, saluons ses goélands, respirons ses embruns. Du sourire aux larmes, il n’y a souvent qu’un pas : ça y est, nous sommes au bout du monde. Au bout du voyage, aussi.

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