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Publié le 08/02/2022 4 minutes de lecture
Depuis que le photographe néerlandais Jan Kempenaers a publié sa série de photos baptisée Spomenik, en 2010, les monuments de l'ère socialiste yougoslaves attirent l'attention du monde entier grâce à leurs formes abstraites et presque irréelles. Ancienne capitale de la Yougoslavie, durement touchée par la guerre, Belgrade compte bon nombre de ces impressionnants spomenici (pluriel de spomenik) qui évoquent certains épisodes des pertes subies par la ville ou de sa résilience durant une des périodes les plus dures de son histoire. La plupart d'entre eux, à l'exception de Kosmaj et Jajinci, sont aisément accessibles depuis le centre-ville, et raviront amateurs d'architecture et d'art autant que d'histoire.Si on s’est d’abord intéressé à ces monuments pour des raisons esthétiques, des initiatives telles que la Spomenik Database et l’exposition de 2018-2019 consacrée à l’architecture yougoslave de l’ère socialiste au MoMA de New York ont donné une dimension historique et sociologique à ces intrigantes œuvres d’art commémorant les combats de la Yougoslavie durant la Seconde Guerre mondiale.
Mémorial aux Juifs serbes
Entre 1941 et 1944, pendant l’occupation nazie, près de 90% de la population juive (essentiellement sépharade) de Serbie a péri durant l’Holocauste. Ces souffrances sont rappelées par un mémorial situé dans le cimetière Sépharade de Belgrade. Le monument, conçu pour ressembler aux Tables de la loi apportées par Moïse, mêle ingénieusement une pierre grise et austère à des vestiges plus anciens pour évoquer la longue histoire de la communauté juive en Serbie. Bâti en 1952, c’est aussi le premier mémorial dessiné par Bogdan Bogdanović, qui allait devenir un des architectes les plus renommés de la Yougoslavie socialiste et fut même maire de Belgrade entre 1982 et 1986.Bien que peu visité, le cimetière est facilement accessible en transports en commun depuis le centre de Belgrade (tram n°12, bus n°27 et 65). Il est ouvert tous les jours sauf le lundi.
Allée des Patriotes méritants
En face du cimetière Sépharade, au cœur de l’historique “Nouveau Cimetière”, on trouve un mémorial évocateur consacré aux Belgradoises et Belgradois fusillés ou pendus par les forces d’occupation durant la Seconde Guerre mondiale. Conçu par Bogdanović et Svetislav Ličina comme un jardin bordé d’austères murs de béton, ce monument se compose de quatre colonnes doriques, une par année d’occupation de la ville, et d’une réplique de la place belgradoise de Terazije, avec des gibets, pour honorer ceux qui y furent pendus publiquement. Un autre monument sur la place Terazije même marquent l’endroit où avaient lieu ces exécutions.Juste à côté de ce mémorial, l’Allée des Patriotes méritants, ensemble brutaliste signé Ličina, vaut aussi une visite. C’est là que beaucoup des grandes figures artistiques ou politiques serbes et yougoslaves du XXe siècle, comme le prix Nobel de littérature Ivo Andrić, sont enterrées.
Menora en flammes de Jalija
Du XVIe siècle jusqu’à 1941, Jalija, quartier qui s’étend entre les rues Dušanova, Dubrovačka et le Danube, était le centre de la vie juive à Belgrade. La plupart de ses occupants étant morts durant l’Holocauste, le quartier a complètement changé après la Seconde Guerre mondiale et garde peu de traces de son passé juif. Mais un monument sombre de Nandor Glid, sur la rive du Danube à proximité du complexe sportif Milan Gale Muškatirović, commémore les souffrances des habitants de Jalija durant la guerre et préserve le souvenir de l’histoire du quartier.Sous la forme d’une menora enveloppée de flammes, il évoque les horreurs de l’Holocauste, que Glid a vécu personnellement : une bonne partie de sa famille a été tuée à Auschwitz. Après avoir rejoint les partisans (groupe de résistants mené par les communistes) de Tito pendant la guerre, Glid est devenu un des sculpteurs les plus réputés de Yougoslavie, dont les œuvres pleines d’émotion sont exposées aux mémoriaux des camps de concentration de Dachau et de Mauthausen-Gusen, ainsi qu’au mémorial officiel d’Israël aux victimes de l’Holocauste, le Yad Vashem.
Parc commémoratif de Jajinci
À quelque 11 km du centre de Belgrade, Jajinci a été le site d’exécutions de masse durant toute la Seconde Guerre mondiale. On estime qu’entre 65 000 et 80 000 civils et opposants au régime nazi y ont été fusillés, souvent attachés à des poteaux encore visibles sur place. Malgré cette histoire sinistre, le principal monument du parc est une évocation de l’espoir : entre les fosses communes, une colombe stylisée en acier inoxydable prend son envol d’une haute colonne de béton. Ce point focal scintillant et poétique dessiné par Vojin Stojić, érigé en 1988, contraste avec le monument réaliste-socialiste initial, plus sombre, datant de 1951.On peut se rendre au parc commémoratif par le bus n° 401, qui part de l’arrêt Birčaninova, sur le Bulevar Oslobođenja, près de la place Slavija.
Monument aux Partisans de Kosmaj
Avec ses cinq ailerons formant une étoile qui semble suspendue en l’air, le splendide mémorial de Kosmaj qui s’élève sur les pentes du mont éponyme a été bâti pour commémorer la création du premier régiment de résistance antifasciste à Kosmaj en juillet 1941. Dessiné par Vojin Stojić et Gradimir Medaković, inauguré en 1971, sa forme spectaculaire défiant la gravité en a fait un des spomenici les plus connus.Kosmaj est à 50 km environ du centre de Belgrade et il n’est pas simple de s’y rendre en transports en commun. Mieux vaut y aller en voiture. Pour profiter au mieux de votre excursion, visitez également en chemin le mémorial de Jajinci.
Staro Sajmište
Staro Sajmište était un camp de concentration de sinistre mémoire sur la rive de la Save, côté Novi Beograd. En théorie situé sur un territoire cédé à l’État indépendant de Croatie soutenu par les nazis, le camp était en fait dirigé par la Gestapo, sous le nom de Judenlager Semlin. Plus de 40 000 des 80 000 prisonniers qui y furent internés entre 1941 et 1944 y moururent. Ils étaient pour la plupart juifs, roms et serbes. Si le complexe mémoriel de Staro Sajmište n’est pas encore terminé, un imposant monument a été érigé sur la rive de la Save en 1995 (c’est le dernier spomenik en date) à la mémoire des victimes du camp. Dessiné par Miša Popović, il symbolise deux mains qui s’élèvent en prière.Pour s’y rendre, le mieux est de prendre les transports en commun jusqu’au pont de Branko (Brankov most), côté Novi Beograd, et de marcher jusqu’au monument.
Traduit par : Vincent Guilluy