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Publié le 07/10/2020 4 minutes de lecture
Exigeant et sublime, le GR®20 traverse la Corse de la Balagne à l'Alta-Rocca et est réputé comme l'un des sentiers de randonnée les plus spectaculaires d'Europe. Une réputation justifiée, confirme notre auteur Olivier Cirendini.
Je n'ai pas encore posé le pied sur le célèbre sentier que je ressens déjà un mélange d’excitation et d’appréhension. Excitation de se lancer sur un sentier mythique, appréhension face à ses difficultés. Il suffit de prononcer le nom du GR®20 pour que les deux sentiments fassent leur apparition. À plus forte raison après que le confinement a imposé plusieurs semaines de quasi diète sportive à mes muscles et articulations. Alors, pour me rassurer, je me prépare au mieux. L’itinéraire ne laisse pas de place au doute: de Calenzana, sur les hauteurs de la Balagne, la star des sentiers de randonnée de Corse – et l'un des plus célèbres d'Europe – rejoint en seize étapes le village de Conca, au sud de l'île, en passant au plus près de son épine dorsale montagneuse. Mais le sac demande une attention particulière et laisse la place aux choix. Son poids est déterminant. Qu'est-ce que je prends? Qu'est-ce que je laisse?
Je sais qu'à un moment ou un autre je trouverai mon sac trop lourd
Hormis des barres de céréales et un paquet de pâtes, je choisis de faire l'impasse sur la nourriture –on trouve de quoi se restaurer dans les refuges– mais j'opte pour une petite tente. Plutôt que de dormir dans les dortoirs (attention aux punaises de lit!) ou des tentes de location, cette option, qui pèse 1,7kg, me permet de garder mon intimité et de m'assurer d'avoir toujours un toit, fût-il de toile, au-dessus de ma tête. Petit à petit, mon sac se remplit. Et je sais que, quel que sera son poids final, à un moment ou un autre je le trouverai trop lourd.
Fidèle à sa réputation
C’est donc avec 14 kg sur les épaules que je me retrouve quelques jours plus tard sur les hauteurs de Calenzana. La côte s'éloigne à mesure que je prend de la hauteur, et le GR® se révèle vite fidèle à sa réputation: dès cette première étape, il faut parfois se servir de ses mains (et à l'occasion de quelques chaînes) pour progresser. Au matin du deuxième jour, à l'heure où je replie ma tente, déboule l'ultra-trailer Xavier Thévenard dans sa tentative de record du GR®20. Il finira (un rien déçu) en un peu plus de 32heures –le record est de 31h06! Les trailers, qui doublent, voire triplent les étapes, sont de plus en plus nombreux sur le sentier. Certains parcourent ses 180km en 4ou 5jours. Pour le randonneur, la norme est de 16étapes et autant de jours, même s'il est relativement “facile” de réduire à 14 ou 15 jours. Aux premiers l'exploit sportif et la soif de performance. Aux seconds l'aventure dans la durée, en prenant le temps d'apprécier les paysages de l'île. Deux approches.
Exigeant et sublime
Dans les deux cas, le GR®20 comporte une part de dépassement de soi. Cumulant plus de 13000 m de dénivelé positif, culminant à 2607m, c'est un sentier de randonnée hors norme. Comme me l'a un jour expliqué l'un des guides ayant collaboré à le tracer, au tout début des années 1970, l'idée était de “traverser la Corse en suivant le cheminement le plus beau possible”, et tant pis pour la difficulté. Le résultat est exactement conforme à cet objectif: exigeant et sublime.
Une forme de routine s'installe
Les premières étapes font quasiment figure de test, tant elles cumulent les passages de cols, les tronçons techniques, les montées sous le soleil et les descentes brutales. Mais quelle beauté ! On traverse le massif de Bonifato, on chemine sur les hauteurs de l'Asco. La longue étape 4, créée en 2016 pour contourner le cirque de la Solitude suite à un accident dramatique l'année précédente, est également superbe. À l'étape 6, les paysages du lac de Nino mettent un peu de douceur dans ce monde de rocaille. Plus loin, ce sera la sublime vision des lacs de Melu et de Capitellu, la fraîcheur des vasques du Manganellu, le plateau du Coscione, les passages aériens sur les crêtes des étapes 12 et 13…
Peu à peu, une forme de routine s'installe. On retrouve les mêmes têtes aux pauses et chaque soir au bivouac, on sympathise. Des groupes se forment, on s'échange des tuyaux (quelle douche est la plus chaude?) et… des pansements anti-ampoules. On partage les repas dans les refuges. Les meilleurs – les lasagnes des accueillantes bergeries de l'Onda, celles de Crocci et les pâtes de Tighjettu sont quasi légendaires– et les autres –c'est peu dire que certains refuges du GR®20 offrent des conditions assez affligeantes.
Tutoyer les sommets
Étape 15. Les aiguilles de Bavella, par la variante alpine, sont l'un des points forts du sud de l'itinéraire. Au milieu de la matinée, ces aiguilles de granit sont pointées face à moi vers l'azur du ciel. Je sens mes pieds un peu douloureux d'avoir été maltraités par la montée, une fine coulée de sueur dans mon dos, le poids du sac sur mes épaules… et une grande vague de plaisir à l'idée que je tutoie ces géants de la géographie de l'île.
Dernière nuit en bivouac, après quelques Pietra –la bière corse à la farine de châtaigne– pour marquer le coup. Puis quelques heures de marche dans le petit matin, avec les jambes en pilotage automatique. Me voici à Conca, face au panneau qui annonce simplement :“Arrivée du GR®20. Vous voici au terme de votre odyssée. Vous avez parcouru environ 180km. Bravo !”. Une petite phrase pour résumer une belle aventure.