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Tour du monde épisode 9 : Seychelles, le monde d’après

© Christian Cacciamani - Unsplash

Nous atterrissons dans ce paradis perdu au milieu de l’océan Indien. Un archipel de sable blanc et de forêts tropicales lové entre les bleus du ciel et de la mer. Je l’ai quitté il y a 2 ans, tandis qu’autour de moi le monde semblait s’écrouler. Je reviens dans le «monde d’après», que l’on crut un temps advenir différent. Las, il n’en est rien. Notre monde n’a pas changé. Le tempo de notre voyage est temporairement mis entre parenthèses, car je dois me consacrer à l’actualisation du guide Lonely Planet des Seychelles. Ma dernière mission avait été brusquement interrompue en mars 2020. Me revient en mémoire, de façon très nette, le contraste saisissant entre la brutalité des événements et la magnificence du décor environnant. Aujourd’hui, mon cœur se pince lorsque j’entends, au loin, chez moi, les échos d’une guerre presque proche. Le monde pourrait-il à nouveau basculer ? La solidité des états n’est qu’apparente. Des certitudes peuvent s’effondrer sans prévenir. Le monde n’est pas à une absurdité près.Ici comme ailleurs, la vie a poursuivi son cours. En cette période de Pâques, les hôtels sont remplis, les touristes bronzent, les boutiques étalent paréos et bracelets de coquillages, l’accent créole résonne, le soleil brille. Desmond, lui, peste. La voiture n’avance pas. Elle est coincée dans un embouteillage qui, en France, nous paraitrait ridicule. Quelques minutes, à peine. Mais, aux Seychelles, c’était jusqu’alors impensable. «Maintenant, je dois partir à 6h du matin pour être à Victoria à l’heure», me précise-t-il, en roulant au pas. «Avant, cela n’arrivait qu’à Victoria, et pas tous les jours. Aujourd’hui, cela se prolonge jusqu’à Pointe au Sel». C’est-à-dire, presque jusqu’au sud de la côte est de Mahé, l’île principale. Jusqu’alors totalement préservées des méfaits du développement, les Seychelles se modernisent. Et se heurtent à de nouvelles problématiques. Le monde d’après.

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Sur l'île Desroches
Sur l'île Desroches WJLindner - iStock
Très loin de Mahé, sur une plage déserte de l’île de Desroches, je m’arrête. Devant moi, la mer turquoise étincelle, le bleu du ciel est limpide, la blancheur du sable éclatante. Je m’assoie dans ce décor absolument idyllique, à l’ombre de quelques cocotiers. Il n’y a personne. J’ai laissé ma famille sur une autre île et ce rêve incarné me semble bien vide. J’en suis là dans mes réflexions, abandonnée entre émerveillement et solitude, lorsque peu à peu je les remarque. Le crabe fantôme, qui se tapit bien vite dans son trou. Le coquillage, qui avance subrepticement sur le sable. Le paille-en-queue, qui voltige dans l’azur. La géopélie zébrée (un petit oiseau), qui fait craquer les feuilles. Ils sont là, tout autour. Plus discrets que la faune botswanaise, mais bien vivants. Ils habitent cette île. Je ne suis pas seule. Quelle illusion s’est donc ancrée chez nous pour que nous oubliions ainsi le reste des vivants, que nous effacions à ce point notre cohabitation permanente ? «Apprendre à regarder», me répétait sans cesse Justo en Amazonie. Apprendre à voir ce qui nous entoure, retisser nos relations avec le vivant. Nous ne sommes jamais seuls, et quelle tristesse infinie ce serait si par malheur, un jour, nous le devenions.«Elle s’appelle Providence», m’indique Janita en me désignant une grosse tortue terrestre. Entourée d’une grappe de touristes, cette dernière se laisse langoureusement caresser, les yeux moitié clos. «Regardez, ici, deux bébés requins! » s’exclament Arthur et Maxime, les yeux écarquillés sur la petite jetée de l’île de Sainte-Anne, dont les eaux transparentes laissent parfaitement voir deux silhouettes au dos crénelé. Il est étonnant de constater à quel point le moindre lieu, la moindre excursion qui a pour thématique la faune sauvage est prisée. Les fonds marins des Seychelles, les lions de mer des Islas Baletas, les caïmans d’Amazonie, le plancton bioluminescent des Caraïbes, la faune de la savane africaine... Les exemples au cours de notre voyage sont nombreux, mais je n’en manque pas d’autres en France. Paradoxalement, cet appétit de faune sauvage s’accompagne d’un rejet du monde animal de la part de nos sociétés modernes. Est-ce l’attrait de quelque chose devenu rare? Ou la contrepartie d’un besoin naturel de moins en moins assouvi? Cet engouement atteste en tout cas d’une envie et le constat se lit aisément sur les visages: les yeux brillent, le sourire s’élargit. La rencontre a provoqué bonheur et émerveillement et ce, que l’on soit citadin endurci ou naturaliste de métier.Ici, aux Seychelles, la nature est un trésor dont on a, depuis longtemps, compris la richesse. Le pays figure parmi les premiers à avoir pris conscience de l’importance de la conservation de l’environnement. L’éco-tourisme est un mot qui y a court depuis les années 1970: autant dire, des pionniers. Aujourd’hui, près de la moitié des terres émergées est protégée. C’est énorme. Des îles entières sont sanctuarisées pour la flore et la faune sauvage. Même, très au large, les atolls d’Aldabra figurent comme un des rares territoires totalement vierges de la planète: l’archipel entier, éloigné de tout, est réservé à quelques rares scientifiques.
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Les Seychelles figurent parmi les premiers à avoir pris conscience de l’importance de la conservation de l’environnement. L’éco-tourisme est un mot qui y a court depuis les années 1970. Aujourd’hui, près de la moitié des terres émergées est protégée. Steffen Holzner - Unsplash
Nous naviguons d’îles en îles, à la beauté plus éclatante que jamais. Les plages déroulent leur ruban blanc, les cocotiers balancent, la jungle tropicale frémit sous les alizés et, à travers l’eau absolument transparente, s’observent des bancs de poissons multicolores. La carte postale est intacte. Sans doute faut-il donc mon œil aguerri par près de six voyages précédents pour lire les signes qui ne trompent pas. Avoir appris à voir. Ici, des rochers affleurent. Dans une baie, la frange des cocotiers dévoile des racines à nu. Là, émerge une digue de pierre. Plus loin, c’est une plage de quelques mètres. Ou bien après, une autre qui a disparu.Je me souviens nettement d’une plage de mon enfance. Elle est à Belle-Ile-en-Mer, une île au large de la Bretagne, en France. Nous faisions d’énormes parties de toboggan dans ses dunes. Aujourd’hui, les dunes ne sont plus. Vous connaissez peut-être aussi une plage qui vous est chère et qui a disparu. Les plages sont dans nos verres, nos ordinateurs, d’innombrables objets et, surtout, surtout, dans nos maisons et dans toutes les constructions qui nous entourent. Il y a la montée des eaux, il y a l’érosion, mais il y a aussi la disparition du sable. Il est extrait de nos océans, de nos mers, de nos littoraux et de nos fleuves. Nous leur ponctionnons, chaque année, environ 40 gigatonnes de sable. Pour une raison assez technique, le sable des déserts ne convient pas à l’industrie du bâtiment. C’est parce que j’ai vu de mes yeux des plages aimées disparaitre, que j’ai découvert d’excellentes enquêtes réalisées sur le sujet*. Les plages ne sont pas seulement des lieux où bronzer. Ce sont aussi d’extraordinaires écosystèmes, vitaux à nombre d’espèces. Et ce sont également des barrières protectrices pour les littoraux, des sortes de pansements pour la terre.Charlie, lui, n’a plus d’illusion. Chaque année, il rajoute quelques blocs de pierre pour protéger le coin de littoral devant sa maison, sur l’île de Praslin. «Ce sont les gens du coin qui érigent ces digues pour limiter les dégâts. Le gouvernement ne s’en préoccupe pas», me lâche-t-il. «Cela ne va pas s’arranger. De toute façon, notre soleil est entré dans un cycle destructeur», poursuit-il dans un anglais dont je perds peu à peu la compréhension. Il est question de soleil devenu blanc, de cycle plurimillénaires, de Russes perçant la terre à des centaines de mètres, de conspirations gouvernementales... Mais son sourire est désarmant, sa gentillesse incontestable et, tandis qu’il me parle, me revient soudain en mémoire ce couple sympathique qui, au Pérou, m’affirmait avec le plus grand aplomb que le Macchu Pichu avait été construit par des aliens. «Ah tiens, regarde, les escargots remontent les arbres... Il va sans doute pleuvoir», s’interrompt Charlie alors que je l’ai totalement perdu, «c’est un signe qui ne trompe pas». Je ne sais plus trop s’il me parle encore des escargots mais, polie, j’acquiesce. «Tu sais, le corps n’est rien», me lance-t-il avec un regard plus perçant, et, mettant son doigt sur sa tempe, il ajoute: «c’est ton esprit que tu dois préparer». Puis, il s’en va, nonchalant, le kayak sous le bras, pour sa pêche du matin.Le soir, allongés sur le sable, nous contemplons au-dessus de nous le ciel étoilé. Brillantes, magiques comme à chaque fois, les constellations de l’hémisphère sud nous offrent leur symphonie lumineuse. «Maman, qu’est-ce que c’est l’infini?». Vaste question. On peut regarder les étoiles et voir des étoiles. On peut regarder les étoiles et voir un faisceau de points lumineux. On peut regarder les étoiles et voir, entrevoir, autre chose: l’univers, l’expansion, le passé, l’infini, le mystère. On peut regarder un grain de sable et découvrir un monde. Qui peut compter le nombre des grains de sable sur la terre? «Il est des personnes, ô roi Gelon, qui pensent que le nombre des grains de sable est infini», disait déjà Archimède, il y a plusieurs siècles, dans l’Arénaire.* L’enquête «béton, la fin d’une ère?» par Heidi News: https://www.heidi.news/explorations/beton-la-fin-d-une-ere«Le sable, enquête sur une disparition» sur Good Planet: https://www.goodplanet.info/2016/05/03/sable-enquete-disparition/ ; «Le sable, une ressource essentielle en voie de disparition» par Good Planet: https://www.goodplanet.info/2020/07/26/le-sable-une-ressource-essentielle-en-voie-de-disparition/

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