Près de 10 % des espaces naturels du Malawi sont protégés.

Reportages

Tour du monde épisode 12 : Malawi TIA (This Is Africa)

© Elodie Rothan

Malawi. Il y a quelques mois, je n’aurai pas su exactement situer ce pays sur une carte. Coincé entre la Tanzanie au nord, la Zambie à l’ouest et le Mozambique au sud, il symbolisait donc pour moi exactement ceci : un territoire lointain, peu connu, peu exploré, peu documenté (un chapitre seulement d’un guide Lonely Planet non traduit en français). Une terra incognita.

«Mais qu’allons-nous faire ici?!», nous demandons-nous plantés dans la poussière entre poules, tomates étalées, bassines de graines, assaillis par une grappe de gamins curieux tout en scrutant d’énormes fagots de bois en équilibre sur la tête gracile de femmes aux robes plus chatoyantes les unes que les autres

Ce sont, en réalité, les récits enthousiastes de voyageurs croisés en chemin qui nous guidèrent ici. Confiants, nous nous sommes dit: «Et pourquoi pas?!». Parfois, les choix sont aussi simples que le vent.

Sur les routes, vaguement goudronnées et percées de nids de poule, les voituresse font rares. La foule y circule à pied ou à vélo. Je n’aurai jamais cru qu’il soit possible d’empiler tant de choses sur une bicyclette. Dans les rues (mais ces allées terreuses sont-elles vraiment des rues?!), se joue toute la gamme des scènes domestiques. Une marmite sur un feu, une fragile pyramide de maniocs, un parterre de briques en terre crues, un puits en action… On se repose à l’ombre, on discute, on déambule entre les chèvres et les carcasses de pneus. Partout, des enfants courent. Des têtes de bébés émergent d’amas colorés noués au dos de leur mère. L’intimité du quotidien s’offre au regard. Un vertige de vitalité nous prend. Ici, la vie bat son plein, chaque jour, chaque heure, chaque minute.

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Des pêcheurs sur le lac Malawi.
Des pêcheurs sur le lac Malawi. Elodie Rothan

Que sommes-nous venus chercher? Nous sommes heureux d’arriver dans un pays où le tourisme est encore à ses balbutiements. Heureux de sentir les gens curieux de notre présence. Nous nous laissons couler dans ce flux de rires, de couleurs, d’humanité.

«Votre pays est magnifique» tentai-je maladroitement face à Sonia, qui m’expliquait qu’elle voulait devenir infirmière. «Oui, mais nous n’avons rien, nous sommes pauvres», me lance-t-elle avec un sourire désarmant. C’est un fait. Classé dans les 10 pays les plus pauvres de la planète,le Malawi n’est pas dans les starting blocks. Ici, tout manque: hôpitaux, médicaments, infrastructures, écoles, livres. C’est ce que m’explique bien Françoise, mon hôte de la Rondavelle: «C’est bien beau d’apprendre à lire à l’école, mais si ensuite on n’a aucun moyen de lire? Pas de journal, pas de livre, pas de bibliothèque, rien. Comment fait-on pour entretenir cet apprentissage?». Je pensai à mon salon croulant sous les bouquins, nos vide-greniers aux ouvrages à 20 centimes, aux cases à livres gratuits qui fleurissent partout...

Dans ce pays où l’on croise plus de personnel d’ONG que de touristes, nos certitudes commencent à vaciller.

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Elodie Rothan

L’eau, à puiser. Le bois, à couper. Le poisson, à pêcher. Les tomates, à faire pousser. Le téléphone, à charger. La moindre petite action devient une lutte, entreprise à la force de bras, d’obstination, de désir de vivre, de survivre.

Dans ce pays où j’en viens à être plus facilement prise pour une résidente malawite que pour une «touriste internationale», je tente de résister à la posture occidentale complaisante, si sûre d’elle-même, si remplie de bons sentiments et, au final, de condescendance.

Membres d’ONG, pêcheurs, directeurs d’hôtels, aventuriers multifacettes, guide Rasta, enfant blanc du Malawi… Les gens que je rencontre me racontent leurs histoires, leurs parcours et semblent, tous, plein d’interrogations. Les ambitions, les intérêts, les investissements étrangers, les étranges interventions de l’ONU, les moustiquaires transformées en filets de pêche… Mille histoires émaillent un récit en contradiction perpétuelle. Tout, ici, fonctionne selon des codes et des règles informelles, selon une logique qui échappe à l’entendement formaté. TIA. This is Africa, a-t-on coutume de dire.

Ainsi échouons-nous sur l’île de Likoma.

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L'île de Likoma, un paradis oublié.
L'île de Likoma, un paradis oublié. Elodie Rothan

Likoma. C’est ainsi que l’on découvre des paradis oubliés. Cette petite île vallonée, piquée de centaine de baobabs, sillonnée de doux sentiers et targuée d’une belle cathédrale (oui, oui!) est, partout, longée de plages de sable aux eaux cristallines. Rivalisant en beauté avec les plus belles destinations sur papier glacé, elle savoure doucement ses jours heureux. Ses rivages sont rythmés par le va-et-vient des canots de pêcheurs. Nous empruntons ses doux sentiers, accompagnés de bandes d’enfants rieurs. Sous l’eau, nous observons des poissons multicolores qui n’existent nulle part ailleurs: les Cichlidés, que des spécialistes du monde entier viennent étudier. A l’ombre des baobabs, le temps ralentit.

Les téléphones ne passent pas, l’électricité est comptée, il n’y a pas de site majeur à visiter, les établissements se comptent sur les doigts d’une main, le temps est large: nous sommes au paradis. Les quelques occidentaux que nous croisons semblent être passés de l’autre côté de quelque chose. Mais de quoi? Du temps, peut-être. De nos certitudes occidentales, sûrement.

J’avance dans un pays où le tourisme est encore un mot vague et, pourtant, je réalise à quelle point cette illusion est vaine. Nous sommes déjà passé partout. Notre Histoire est déjà passée ici. Il n’y a pas de terra incognita. Il n’y a que des routes secondaires, sur lesquelles on peut aimer se perdre, sur lesquelles on peut écouter une autre facette de notre propre récit.

Au sud du pays, au bord de la rivière Shire, m’attend un ultime récit. L’histoire d’un petit miracle.

En 2003, le Majete Wildlife Reserve n’était plus rien. Le dernier éléphant avait été tué. Le braconnage intensif avait eu raison des derniers lambeaux de vie sauvage. «Cet endroit était fini», nous confirme le directeur John Adendorff. «C’était un bout de terre oublié, qui allait disparaitre. Ils avaient commencé à couper les arbres. Les lieux étaient au bord de l’extinction».

20 ans plus tard, le résultat est époustouflant: la Réserve accueille les fameux «Big 5», compte une quarantaine de léopards, presqu’autant de lions, plus de 2000 buffles, 600 élands, 1500 impalas, 2000 koudous, des bubales, des nyalas, nombre d’éléphants... «Lorsqu’un endroit est sûr, comme celui-ci, les éléphants ne sont pas agressifs, les animaux sont calmes, ne s’enfuient pas lorsque vous les voyez. Majete est très proche d’une expérience idéale, où les animaux ne craignent plus les hommes. Il faut 19 ans pour en arriver là. Majete est une incroyable histoire d’espoir.»

«Nous avons fait un énorme travail avec les communautés locales», poursuit-il. Partage des bénéfices, constructions de puits, d’écoles, de cliniques, productions de miel, plantations d’arbres… La liste des projets avec les communautés est interminable. John s’arrête, soucieux. «Ce parc cessera d’exister si les communautés locales n’en bénéficient pas. Notre plus grand objectif, aujourd’hui, est de faire croître le sentiment que cette Réserve leur appartient et leur est bénéfique.Pour que la Réserve se maintienne dans le futur, il faut que les communautés locales la défendent».

«Majete prouve que, si l’on se donne la main, tout est possible », conclut-il. « L’enjeu est de gagner du temps. Le monde évolue, les gens se réveillent. Il y en a juste quelques-uns qui mettent un temps fou à se réveiller... Si nous arrivons à gagner du temps, nous pourrons changer les choses. Tout ce que nous avons à faire, c’est changer les états d’esprit, changer la manière de voir les choses».

Sur les pistes du Majete, le long des rives du Liwonde, dans la forêt du Nkhotakota, nous reprenons goût à cette immersion dans la nature la plus sauvage, celle que nous avions tant aimée au Botswana. Le lion s’endort à quelques mètres de nous, tranquille. Le guépard déguste son waterbuck fraîchement chassé. Trois wild dogs accourent vers les phares de notre véhicule. Les girafes nous bloquent la route, sereines. Les singes s’approchent, curieux. Le crocodile, lui, plonge à notre approche.

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Sur les pistes du Majete, le long des rives du Liwonde, l'immersion dans la nature la plus sauvage est garantie.
Sur les pistes du Majete, le long des rives du Liwonde, l'immersion dans la nature la plus sauvage est garantie. Elodie Rothan

Dans ce pays où les enfants ignorent encore, et plus que les nôtres (qui, au moins, ont des livres), à quoi ressemblent les animaux de la savane, certains redécouvrent leur nature, réapprennent à lire les signes du vivant, étudient la langue du sauvage. Dans ce pays où tout est question de survie, des territoires sont sanctuarisés, dans leur intégrité, et des espaces naturels sont refaçonnés, intacts. Si j’additionne grossièrement (les données sont ardues), près de 10% du Malawi est protégé. J’ose alors ouvrir la comparaison. A l’opposé du classement des pays par PIB, je trouve le 7ème pays le plus riche au monde, le nôtre. Son Ministère de l’écologie affiche ses ambitions à l’horizon 2030: «renforcer le réseau d'aires protégées pour atteindre 10 % du territoire national par des zones sous protection forte». 10%. Même nombre.

«Changer la manière de voir les choses», m’avait glissé John. Mais, en fait, à qui s’adressait-il?

EN BONUS: LES PLUS BELLES ADRESSES DU MALAWIFisherman’s Rest Lodge & Community projects, MbameDans le sud du pays, non loin de Blantyre, cette adresse est particulièrement engagée auprès des communautés locales, à travers l’association du même nom. Sans compter que le lieu est magnifique!https://www.fishermansrest.netKawa Maya , île de LikomaSur l’île de Likoma, il est peut-être le plus bel hôtel du pays. Lové sur une plage à la pointe sud de l’île, l’hôtel égrène ses chambres comme autant de maisons de vacances idéales, au ras des flots, dont le décor est à faire pâlir d’envie tout magazine de décoration.https://greensafaris.com/kaya-mawa/Robin Pope SafarisEntre le Kuthengo Camp dans le Parc national de Liwonde, le Mkulumadzi Lodge dans la réserve de Majete et le Pumulani Lodge, à Cape Mac Clear, Robin Pope se positionne comme l’un des spécialistes du Malawi, notamment en ce qui concerne les destinations Safari. Une valeur sûre.https://www.robinpopesafaris.netTongole, Nkhotakota National ParkRécemment repris par African Park, le Parc de Nkhotakota est un trésor en devenir… Au cœur de la réserve, le Tongole offre une architecture traditionnelle sublime et des rangers qualifiés.https://tongole.comLa Rondavelle, ChilumbaSur la péninsule de Chilumba, Patrick et Françoise ont lancé un vrai projet touristique global avec, en plus des chambres, du camping et du restaurant (l’un des meilleurs du pays!), une véritable ferme où ils confectionnent leurs produits (il y a même du fromage!), tout en s’engageant avec les communautés locales.

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