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Publié le 12/04/2017 6 minutes de lecture
Le voyage photo. La formule est simple : partir avec d'autres passionnés de photo, accompagnés par un professionnel qui vous guide dans vos choix techniques et esthétiques. Que ce soit sur le plateau de l’Aubrac, au Spitzberg en Norvège ou en Andalousie, ces voyages où les contraintes liées à la prise de vue dictent l’emploi du temps ont le vent en poupe. Rencontre avec Vincent Frances, créateur de l’agence Photographes du Monde.
Que recherche la personne qui part en voyage photo?
On part en voyage photo pour combiner trois choses essentielles. On vient chercher le bon conseil photographique, au bon endroit, au bon moment. C’est la combinaison de ces trois facteurs que l’on essaye d’offrir et c’est une alchimie complexe. Ce qui compte au final, c’est de développer l’expression personnelle de chacun. Pour cela, le rôle de l’accompagnateur est primordial. Ce n’est pas qu’un photographe qui connaît la destination, on essaye de trouver la personne adéquate qui puisse développer la technique et la sensibilité de chacun.
Qui sont les photographes accompagnateurs?
Ce sont des photographes professionnels qui font de l’accompagnement en plus de leur activité d’illustrateurs photo ou de photojournalistes. Ils ont un rôle de facilitateur. Le photographe accompagnateur va ouvrir des portes, il va mettre le photographe voyageur en situation de réussir des images que lui-même aurait pu mettre plusieurs jours voire plusieurs années à faire. On essaye de leur donner uniquement le côté plaisir de notre métier. Par exemple, en Mongolie, quand on va chez les nomades, le voyageur bénéficie de toute les fois où le photographe est déjà venu et des liens qu’il a su tisser avec la population.
Faut-il avoir un niveau minimum en photographie?
Les voyages s’adressent à tous les niveaux. C’est au photographe accompagnateur de s’adapter. L’idée c’est d’accompagner la pratique photo et l’approfondissement des techniques de chacun. C’est pour cela qu’on fait en sorte d’avoir des groupes où le photographe est accessible pour tous les voyageurs: on voyage à 4, 6 ou à 8 personnes maximum. Le rôle du photographe est d’aider chacun à franchir le pallier qui est juste au-dessus de lui. Souvent les amateurs ont envie de brûler les étapes et d’attendre des recettes toute faites… Celui qui a un niveau 5 sur 10, on va lui parler du niveau 6. Celui qui a un niveau 1, on va lui parler du niveau 2...
Les voyageurs viennent avec leur propre matériel?
Oui, ils viennent avec leur matériel photo car une fois qu’ils ont fini leur voyage, ils pourront reproduire ce qu’ils ont appris sur leur propre matériel. Sur place, s’il leur manque des accessoires ou s’ils cassent un boîtier, on assure des prêts. On loue aussi du matériel: un téléobjectif par exemple peut s’avérer utile pour profiter pleinement d’un voyage en Namibie. Au final, ce qui est important c’est que le voyageur domine son matériel et pas l’inverse.
Voyage photo rime-t-il exclusivement avec photographie numérique?
Il y a de tout mais à 95 % les participants viennent avec des appareils numériques. C’est l’idéal pour apprendre car il est très facile de voir immédiatement le résultat d’un choix technique. Se tromper fait partie du processus d’apprentissage, le numérique permet de donner un conseil adapté in situ, de montrer qu’on aurait pu faire une photo plus forte au même endroit. Du coup la progression est plus rapide. En argentique, il y a une dimension que les gens perdent en partie, c’est celle des analyses d’images en groupe.
Justement, comment se passent ces séances d’analyses?
On vient avec des ordinateurs et des vidéoprojecteurs pour les analyses de photos mais on peut tout à fait regarder les photos sur un ordinateur ou le dos des boîtiers. Ces séances sont importantes, il y a une émulation qui se créé dans les groupes car on apprend énormément avec le regard des autres. Au même endroit avec les mêmes conditions, chacun va voir des choses différentes, il n’y a jamais la même photo, c’est ça qui est formidable. Le fait de voir ce qu’a vu quelqu’un alors qu’on était au même endroit fait énormément progresser sur la manière d’appréhender les sujets. Il y a un vrai apprentissage collectif du fait de ces séances.
C’est quoi une journée type lors d’un voyage photo ?
Cela dépend avant tout de la lumière car on vit à son rythme. On arrive souvent très tôt sur les spots: on explique comment la lumière va arriver et comment se positionner. En Provence par exemple, on part faire des photos au lever du soleil. Après un premier débrief, on peut repartir faire des photos dans la matinée car les lumières sont encore intéressantes. Elles sont ensuite très hautes dans l’après-midi, donc on s’arrête, on mange, on fait la sieste et on refait une séance d’analyse vers 16 h. Puis on repart en prise de vue de 17 h à 21 h.
Comment choisir son voyage en fonction de son style de photo et de sa personnalité ?
Chaque voyage à des thématiques listées dans nos roadbooks: portait, paysage, animalier... Les illustrations des roadbooks avec les photos prises sur place parlent souvent d’elles-mêmes. Quelqu’un qui n’aime pas la foule, on ne lui conseillera pas forcément d’aller en Inde mais plutôt au Spitzberg. On essaye de conseiller le bon format de voyage en fonction de leur recherche d’images. Un dernier facteur de choix est bien sûr important: l’univers personnel du photographe accompagnateur.
Quelles sont les conditions d’hébergement?
Elles dépendent de l’intérêt d’aller dormir dans un endroit... ou pas! On va tout aussi bien camper que vivre dans un lodge incroyable s’il y a un intérêt photographique à y aller. On ne va pas faire dormir sous une tente si à côté il y a un hôtel sympa. On va dormir dans une tente si on est au milieu du désert et qu’on est seul à faire des photos de voies lactées. À Photographes du Monde, on essaye quand même d’avoir des logements confortables, il faut que le photographe soit en forme, qu’il mange bien, qu’il dorme bien et que le voyage reste un plaisir. Les gens sont quand même en vacances!
Qu’est-ce qu’il ne faut pas oublier en plus de son appareil photo?
D’un point de vue logistique, des éléments de sécurité par rapport à la production d’images: un trépied léger, un deuxième boîtier, un bon sac photo pour ne pas être gêné par son matériel, des cartes mémoire, des batteries, ... Il y a aussi une autre réponse à cette question. En voyage il ne faut pas être obnubilé par le matériel, il faut aussi savoir se laisser aller au moment qu’on est en train de vivre pour pouvoir le capter. Les photographes savent capter l’essence d’une situation, d’une personne ou d’un paysage en quelques minutes. Pour ça, il faut s’imprégner et se laisser pénétrer par les choses. Souvent les gens mettent une barrière entre eux et ce qu’ils vivent: c’est souvent leur attentes, leurs préjugés, les images qu’ils veulent faire absolument alors qu’ils n’ont pas encore fait le voyage. Il faut aussi apprendre à s’abandonner au moment présent.
Ta destination fétiche?
Celle que je n’ai pas encore faite... Plus sérieusement, il y a quand même deux destinations qui sont très fortes, ce sont les destinations arctiques: la Laponie et les Lofoten. Ce n’est pas très loin de la France, à quelques heures d’avion et on y voit de la neige, de la glace, des animaux en liberté, des aurores boréales et des peuples nomades. Dans un autre style, la Namibie dans l’hémisphère sud: il n’y a pas de décalage horaire, c’est à 9 heures d’avion, avec un ciel que l’on ne voit pas en Europe, des déserts immenses, dans un pays vingt fois grand comme la France où ne vivent que deux millions de personnes. Ce sont des choses que l’on a un peu oubliées en Europe occidentale et que l’on voit d’une manière agréable en Namibie car c’est un pays calme et relativement riche.
Le voyage photo continue-t-il après la fin du voyage ?
À l’agence, nous aimons dire que «photographier, c’est voyager mille fois ». Au retour pendant l’éditing photo, on revit chaque scène et forcément certains moments de son voyage. Mais il y a autant de manières de vivre son retour qu’il y a de personnes. Il y en a qui font des albums photos, d’autres qui partagent sur les réseaux sociaux, qui font des galeries sur leur site ou des expositions. À l’agence, on est réceptifs à tout ça, on essaie de faire des partenariats avec des tireurs et des imprimeurs pour que les gens puissent prolonger leur expérience. On créé aussi des groupes privés pour que les personnes ayant participé à un voyage s’échangent leurs photos. C’est un prolongement de ce qui a été vécu, chaque voyage a sa bulle dans laquelle on peut se replonger un mois ou deux ans après.