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Publié le 08/11/2024 5 minutes de lecture
Instauré par les colons catholiques qui voulaient faire la fête avant les restrictions du carême, le carnaval de Martinique mêle allègrement les cultures européennes et africaines. Durant les 4 jours qui précèdent le mercredi des Cendres, toute l’île vit au rythme endiablé de cette grande fête populaire qui atteint son apothéose le Mardi gras. Cette année, le carnaval aura lieu du 1er au 4 mars 2025.
Une histoire ancrée dans les traditions créoles
Le Carnaval de Martinique puise ses racines dans l'histoire coloniale de l'île. Mélange de coutumes africaines, françaises, amérindiennes et européennes, il est un reflet de la diversité culturelle de la région. Les origines remontent à l'époque de l'esclavage, lorsque les esclaves utilisaient le Carnaval pour se révolter symboliquement contre leurs maîtres, en revêtant des costumes et des masques pour se moquer des autorités. Cette tradition s'est transformée au fil du temps en un événement festif célébrant la liberté et la joie de vivre.
Quatre jours de fête en Martinique
Durant le carnaval, les rues sont envahies d’une foule joyeuse et bigarrée, de défilés costumés (les vidés), de musiciens et de danseurs, et des bwadjak, de vieilles voitures customisées et surchargées que l’on fait vrombir à qui mieux mieux.
Dimanche gras : le démarrage officiel
Les rues de Fort-de-France, mais aussi dans d'autres villes comme Le Lamentin ou Le Robert, se remplissent de danseurs, musiciens, et carnavaliers. Les groupes déguisés défilent en costumes souvent très colorés, créant une explosion de musique et de danse. Les styles de musique vont du zouk, au bélé, en passant par le reggae et le gwo-ka (une musique traditionnelle de la Martinique).
C’est également le moment où le Roi Vaval, le symbole du carnaval, est officiellement présenté au public. Ce personnage grotesque, souvent fabriqué de manière artisanale, représente la moquerie, la satire et la liberté. Vaval est l’emblème du carnaval martiniquais et, tout au long des festivités, son image est omniprésente. Les groupes de carnaval lui rendent hommage à travers des chants et des danses.
Lundi gras : batailles de masques et mariages burlesques
Le Lundi Gras commence tôt le matin, souvent par les traditionnels vidés en pyjama, une coutume où les carnavaliers se déguisent en pyjamas, créant ainsi un effet de surprise et d'amusement. Les rues sont envahies de participants qui, souvent vêtus de vêtements de nuit et d’accessoires farfelus, participent à cette parodie de la vie quotidienne. Puis, dans l’après-midi, les festivités prennent une tournure plus ludique avec les mariages burlesques. Ce sont des parodies de cérémonies de mariage où les rôles de l’homme et de la femme sont inversés : les hommes se déguisent en femmes et vice-versa, dans une satire joyeuse de l’institution du mariage.
Mardi gras : la journée des Diables rouges
Le Mardi gras, dernière journée de festivités avant le Carême, est un moment crucial dans le carnaval martiniquais. Parmi les défilés les plus spectaculaires de cette journée, ceux des Diables Rouges captent toute l’attention. Ces personnages, vêtus de costumes flamboyants aux teintes vives et accentués par des masques terrifiants, défilent dans les rues avec une énergie débordante. Ils sont l'incarnation du chaos et du carnaval lui-même, dans une danse effrénée au rythme des tambours et des chants traditionnels.
Les Diables Rouges ne sont pas seulement des figures carnavalesques : ils sont porteurs d'une profonde symbolique. Armés de fourches, ils semblent être des envoyés des enfers, en référence à un imaginaire collectif nourri par la religion catholique imposée aux esclaves. Leur rôle consiste à attiser les flammes du feu sacré, un feu métaphorique lié à la révolte, à la lutte pour la liberté et à la résistance face à l’oppression.
Mercredi des Cendres : le grand final
Le Mercredi des Cendres, qui marque la fin du carnaval, est une journée empreinte de symbolisme, de deuil et de résurrection. C'est le jour où les carnavaliers, vêtus de noir et blanc, défilent dans une ambiance de tristesse et de solennité. Cette parade de clôture est consacrée à l’enterrement de Vaval, le personnage mythique qui représente le carnaval tout au long des festivités.
Son enterrement marque la fin des festivités et le début d’une période de deuil et de purification. Dans de nombreuses communes, Vaval est incinéré en public, sur la place du village ou même sur les plages, dans une grande cérémonie marquée par la musique et les chants. L’incinération de Vaval symbolise la destruction de l’excès et la transition vers la sobriété imposée par le Carême.
Les personnages traditionnels du carnaval
Les personnages traditionnels du carnaval en Martinique sont riches en symboles et en significations, chacun jouant un rôle spécifique dans les défilés et les festivités.
Les Mamas Gwo Siwo, un symbole de l’héritage sucrier de la Martinique
Les Mamas Gwo Siwo (ou "Grandes Mamans au Sirop") sont des personnages joyeux et exubérants, souvent représentés par des femmes en costumes traditionnels, portant des paniers remplis de sucreries ou de fruits. Leur nom "Gwo Siwo" fait référence au sirop de sucre de canne, une référence directe à l’héritage sucrier de l'île. Ces femmes sont souvent dépeintes comme des figures bienveillantes, sages et nourricières, mais aussi pleines de vie, dansant et chantant lors des défilés.
Les Nègres Gwo Siwo, un rappel de l’esclave
Les Nègres Gwo Siwo sont des personnages particulièrement frappants dans le carnaval martiniquais, portant une forte charge symbolique. Ces hommes enduits de mélasse de canne symbolisent les anciens esclaves travaillant dans les champs de canne à sucre. L'aspect visuel des Nègres Gwo Siwo, leur peau noire brune, recouverte de mélasse, fait référence à la dureté du travail forcé et aux souffrances des esclaves sur les plantations. Cette représentation est un hommage aux ancêtres, tout en étant un moyen de dénoncer les injustices passées et de rappeler l’histoire douloureuse de la colonisation.
Les Malprop, les travestis
Les Malprop (ou "Mal Propres") sont des travestis qui se caractérisent par un déguisement extravagant et une attitude exagérée. Ces personnages sont souvent vêtus de façon provocante, dans des tenues trop petites ou trop grandes, avec des couleurs criardes et des accessoires comiques. Leur rôle est de jouer sur la caricature et la moquerie, souvent pour se moquer des conventions sociales ou des figures d'autorité.
Caroline Zié Loli, une pocharde qui louche
Caroline Zié Loli est un personnage de carnaval qui incarne la pocharde, une femme débridée et au comportement louche. Elle est souvent représentée comme une femme vulgaire, parfois en état d’ivresse, avec un regard dévié (d’où son nom "zié loli", qui fait référence à son œil louchant). Son personnage est une caricature de la débauche, et elle est souvent vue en train de boire, de danser de manière désordonnée et de provoquer les autres personnages et spectateurs.
Marianne Lapo Fig, une figure des racines paysannes
Marianne Lapo Fig est un personnage qui se distingue par son habillement en feuilles de bananier séchées. Ce costume symbolise la simplicité, l'humilité et les racines paysannes de l'île. Le nom "Lapo Fig" (littéralement "peau de bananier" en créole) fait référence aux feuilles de bananier utilisées pour confectionner son costume, un matériau humble mais symbolique. Marianne Lapo Fig est souvent vue dans des danses traditionnelles, représentant la connexion à la terre et aux traditions agricoles de la Martinique.
Mèdsin Lopital, une parodie du corps médical
Mèdsin Lopital est une parodie du personnel médical et du corps hospitalier. Ce personnage représente souvent un médecin, un infirmier ou un autre membre du personnel soignant, mais sous une forme caricaturale et burlesque. Mèdsin Lopital est habillé d'une tenue médicale trop grande ou trop petite, portant parfois des instruments exagérés et ridicules. À travers ce personnage, le carnaval martiniquais joue sur la satire des pratiques médicales, en se moquant parfois des autorités sanitaires, mais aussi en critiquant les travers du système de santé.