Le Triangle d'Or, un lieu mythique et fascinant
Etape incontournable pour de nombreux voyageurs, le Triangle d’Or en tant que tel peut décevoir. Il est émouvant de voir le point de rencontre entre trois pays (la Thaïlande, la Birmanie et le Laos) au beau milieu du Mékong, mais les villes et villages alentour révèlent de sites autrement passionnants.
Sop Ruak, lieu officiel du Triangle d’Or où les trois Etats se rejoignent, a été par le passé le théâtre d’une guerre de l’opium des plus sanglantes. Elle n’a cessé qu’à la fin du siècle dernier. Le plus tristement célèbre des seigneurs de la guerre était Khun Sa, qui a contrôlé les frontières pendant des années avant de se rendre au gouvernement birman en 1996. Deux musées passionnants, la House of Opium et le Hall of Opium, retracent cette période noire, des origines du trafic aux torts causés à la région.
Près du bouddha du Triangle d’Or se trouve le point de départ d’excursions en bateau : sachez qu’il n’est plus possible de faire escale au Laos ou en Birmanie sans visa. Les casinos discrets qui se trouvent côté laotien sont accessibles, mais fortement déconseillés par les autorités et les habitants ; des activités illégales y sont menées par des cartels protégés par le pouvoir en place.
Davantage dans les terres, le village de Doi Sa Ngo est un havre de paix qui surplombe la région, à l’écart de l’agitation touristique de la frontière. Les habitants viennent y prendre l’apéro au soleil couchant. Les visiteurs y découvriront des expositions d’art contemporain au Sridonmoon Art Space, ils pourront s’essayer à l’agriculture au centre de méditation Monmingkwan Farmstay ou au glamping au Star Doi Coffe & Homestay, qui jouit d’une belle vue par temps clair.
Le trafic de l'opium en Thaïlande : passé et présent
Historiquement parlant, le Triangle d’or désigne un territoire de plusieurs milliers de kilomètres carrés à cheval sur le Myanmar, le Laos, la Thaïlande et la province de Yunnan en Chine, au sein duquel prévalait le commerce de l’opium. Du début du XXe siècle aux années 1980, le Triangle d’or fut le plus gros producteur mondial de Papaver somniferum, le pavot dont on extrait l’opium. En raison de la pauvreté, du manque d’infrastructures et des autorités qui, dans ces territoires, étaient largement contrôlées par des rebelles, la culture du pavot et le transport de l’opium ne subissaient pratiquement aucun contrôle ; le produit finissant par circuler dans le monde entier sous forme d’héroïne.
L’acteur le plus tristement célèbre de ce commerce fut sans aucun doute Khun Sa, un seigneur de guerre sino-shan que la presse surnommait le “roi de l’opium”. Dès la fin des années 1960, Khun Sa, son armée personnelle, d’anciens combattants du Guomindang (GMD) à Doi Mae Salong et d’autres seigneurs de guerre s’allièrent pour se garantir le quasi-monopole mondial du commerce de l’opium.
En 1988, après avoir échappé à deux tentatives d’assassinat, Khun Sa proposa au gouvernement australien de lui vendre toute sa récolte d’opium pour 50 millions de $A annuels, affirmant que cela mettrait fin au trafic illégal d’héroïne dans le monde. Il fit une offre similaire aux États-Unis, mais les deux pays refusèrent. La Drug Enforcement Authority (DEA) américaine ayant mis sa tête à prix à 2 millions de dollars, Khun Sa se livra aux autorités birmanes en 1996. Celles-ci refusant de l’extrader aux États-Unis, Khun Sa mourut en homme libre à Yangon (Rangoun) en 2007.
La reddition de Khun Sa semblait marquer la fin de la domination du Triangle d’or sur le commerce mondial de l’opium. Et, depuis le début du XXIe siècle, c’est le Croissant d’or afghan qui est devenu la nouvelle plaque tournante de production d’opium dans le monde. Le Myanmar reste néanmoins le deuxième producteur d’opium, dont une grande partie est aujourd’hui acheminée vers des raffineries en Chine pour y être transformée en héroïne. Le Laos continue lui aussi à cultiver l’opium, bien qu’en bien moindres quantités qu’au Myanmar.
De nos jours cependant, la production de méthamphétamines dans le Triangle d’or supplante le commerce de l’opium. Principalement fabriquée dans les jungles des zones de l’État shan, au Myanmar, contrôlées par des armées de minorités ethniques opposées au gouvernement, la méthamphétamine, appelée en thaï yah bâh (“drogue dingue”), est exportée à travers l’Asie, y compris en Corée du Nord.
Si la Thaïlande ne cultive plus que de petites quantités de pavot, hôteliers et tour-opérateurs de Chiang Rai n’ont pas tardé à exploiter la notoriété du Triangle d’or en rebaptisant le petit village de Sop Ruak “Triangle d’or”. Ce dernier est désormais une étape incontournable des voyages organisés, même si l’opium y est relégué dans les musées. La réputation exotique du Triangle d’or se perpétue ailleurs dans la province de Chiang Rai, notamment à Ban Thoet Thai, où l’ancien siège de Khun Sa a été ouvert au public.