Frontière naturelle entre la France et l’Espagne, la chaîne des Pyrénées s’étire sur environ 450 km d’ouest en est entre l’océan Atlantique et la mer Méditerranée. Large de près de 140 km dans sa partie centrale, où se concentrent les sommets supérieurs à 3 000 m, dominés par le pic d’Aneto (point culminant à 3 404 m, côté espagnol), elle se transforme progressivement en basses montagnes, puis en collines côté basque, tandis qu’elle s’affaisse brusquement à l’est, au-delà du Canigou (2 874 m). Les variations climatiques dues à l’Atlantique et à la Méditerranée, la diversité des reliefs et les différentes expositions des versants y ont engendré une extraordinaire mosaïque d’écosystèmes – d’où la richesse de la faune et de la flore, protégées sur une grande partie du massif.
Aux origines de la chaîne pyrénéenne
La formation des Pyrénées résulte d’une alternance de phases de submersions et de plissements. Il y a environ 500 millions d’années, la région faisait partie d’un vaste continent recouvert par une mer au fond de laquelle se sont déposées des couches de sédiments. En raison de mouvements tectoniques commencés il y a 400 millions d’années et qui se sont achevés il y a 250 millions d’années émerge une gigantesque cordillère – la chaîne hercynienne –, tandis que le magma remonte par des failles et donne naissance à des volcans (pic du Midi d’Ossau).Au cours des dizaines de millions d’années suivantes, les montagnes usées par l’érosion se transforment en une vaste pénéplaine. Il y a 100 à 80 millions d’années, celle-ci est submergée par des mers peu profondes dans lesquelles s’accumulent une nouvelle fois des dépôts sédimentaires. Un second plissement survient il y a 40 millions d’années, quand la plaque ibérique entre en collision avec la plaque eurasienne : c’est la naissance des Pyrénées actuelles. L’érosion, puis les glaciations du quaternaire viennent creuser les cirques et les vallées – ces dernières majoritairement orientées nord/sud, selon l’axe d’écoulement des eaux. Dans les sols calcaires et salins, ces mêmes eaux façonnent un paysage karstique impressionnant. Le gouffre de la Pierre-Saint-Martin (Pyrénées-Atlantiques), qui pourrait accueillir dix fois la cathédrale Notre-Dame, la grotte de Lombrives (Ariège), qui se découvre au fil de l’eau à 60 m de profondeur, les Cuevas de Güixas et la Gruta de Casteret (Aragon), dont la Grande Salle est occupée par un lac gelé, en sont quelques-uns des témoignages les plus saisissants.La grande richesse minérale des Pyrénées tient à ce passé géologique complexe, tandis que leur position à la rencontre de deux plaques tectoniques explique d’une part l’abondance des sources thermales, d’autre part l’activité sismique de la zone (la chaîne subit 300 à 400 petites secousses par an).
Les lacs d’altitude
Dans les Pyrénées, plus de 2 500 lacs sont nés du travail des glaciers, à l’image des fameux ibones d’Aragon, miroirs enchâssés dans des décors variés – forêts, prairies ou étendues minérales lunaires. Par endroit, les glaciers ont raboté des roches tendres en amont de roches plus dures (lacs de verrou tel celui d’Ayous en vallée d’Ossau), à d’autres, ils ont laissé derrière eux une accumulation de débris rocheux qui a bloqué l’écoulement des eaux (lacs de moraines comme ceux du Néouvielle). Pour la majeure partie, ces “étangs”, ainsi qu’on les appelle, sont perchés au-delà de 2 200 m.Parmi leurs hôtes prisés des pêcheurs, seule la truite Fario est indigène. Omble chevalier, saumon de fontaine et cristivomer (truite grise) ont tous été introduits par l’homme.
La flore et la faune
Des conditions particulières
Le climat diffère d’un bout à l’autre de la chaîne : à l’ouest, l’océan apporte des précipitations abondantes et des températures douces ; au centre, le climat, rude, est froid et sec ; à l’est, sous l’influence méditerranéenne, il est chaud et sec. L’exposition joue également un rôle, la partie nord (française) étant beaucoup plus humide que la partie sud (espagnole). Enfin, l’altitude et la configuration du relief viennent moduler ces tendances. Il en résulte une formidable biodiversité. Par ailleurs, les Pyrénées sont isolées des autres massifs européens et les cols y sont souvent élevés, ce qui a empêché la migration d’un certain nombre d’espèces. Beaucoup d’entre elles sont ainsi endémiques, voire circonscrites à une poignée de vallées.
La flore
Elle comprend plus de 4 500 espèces dont 160 endémiques. C’est le cas de la rarissime androsace helvétique, qui se rencontre des deux côtés de la frontière, ou de la Pulsatille de Font Quer et l’astragale de Catalogne, présentes uniquement sur le versant espagnol.La végétation se caractérise par son étagement :
- Étage collinéen (jusqu’à environ 900 m) : chênes, châtaigniers, charmes, orchidées (platanthère à deux feuilles), scilles lys-jacinthes, ail des ours, asphodèle blanc…
- Étage montagnard (environ 900-1 600 m) : royaume de la forêt avec prédominance des hêtres et des sapins, remplacés par des pins sylvestres sur les versants sud ; étage des prairies de fauche. Ramonde, lys et iris des Pyrénées (endémiques), drosera et grassette à feuilles allongées (carnivores).
- Étage subalpin (environ 1 600-2 300 m) : forêt clairsemée (hêtres, sapins blancs, bouleaux, sorbiers, prédominance des pins à crochets), entrecoupée de landes de rhododendrons et genévriers. Chardon bleu et ancolie des Pyrénées (endémiques), gispet (graminée endémique), saxifrage à longues feuilles.
- Étage alpin (environ 2 300-3 000 m) : prairie avec quelques surfaces de pelouse, prédominance des rochers et des éboulis. Saules nains rampants, androsace de Vandelli, pavot parfumé et saxifrage d’Irat (endémiques).
- Étage nival (au-delà de 3 000 m) : roche et neiges éternelles. Silène sans tige, lichens.
La faune
Parmi les espèces de montagne emblématiques figurent l’isard (cousin du chamois), le mouflon méditerranéen et la petite hermine. La marmotte, disparue du massif lors de la dernière période glaciaire il y a 15 000 ans, a été réintroduite avec succès en 1948. Quant au bouquetin des Pyrénées, ses derniers représentants ont été abattus par des chasseurs côté français au début du XXe siècle, et sa dernière représentante a été tuée côté espagnol en 2000 par la chute d’un arbre. Depuis 2014, le repeuplement a commencé avec l’introduction de bouquetins ibériques ; on en compte plus de 300 aujourd’hui dans les Pyrénées françaises.À une altitude moindre, cerfs, chevreuils, sangliers et renards sont communs. Deux prédateurs sont discrets mais bien présents : le lynx et le loup, la population de ce dernier ayant tendance à croître.Encore plus discret et totalement insolite, le desman est un petit mammifère semi-aquatique, proche de la taupe, doté d’une trompe et de pattes palmées. Il est endémique des Pyrénées, comme l’euprocte ou calotriton (triton), la grenouille des Pyrénées (Pyrénées-Atlantiques uniquement) ou encore le lézard montagnard des Pyrénées.L’avifaune a pour seigneurs les rapaces : aigle royal, hibou grand-duc, vautours – dont le célèbre “casseur d’os” (qu’il jette depuis les airs pour les briser), le gypaète barbu, à l’envergure proche des 3 m. Hôte des forêts, le grand tétras laisse place au lagopède alpin (Lagopus mutus pyrenaica, sous-espèce endémique) sur les pelouses rases d’altitude et les pierriers. Les cols des Pyrénées (en particulier Organbidexka et Lizarieta) sont quant à eux des couloirs de migration privilégiés pour des dizaines d’espèces d’oiseaux, au premier rang desquels le pigeon ramier, le milan royal, la grue et les cigognes noires et blanches.À noter que les Pyrénées abritent une grande diversité d’insectes, en particulier de lépidoptères : environ 200 espèces de papillons diurnes y ont été recensés.
Une pomme de discorde : l'ours
Quand l’ours des Pyrénées est déclaré espèce protégée en France en 1981, il est déjà trop tard : il n’en reste plus que 5 à 6 spécimens en 1995 dans la partie ouest de la chaîne, et 3 côté espagnol en 1996 – insuffisant pour la survie de l’espèce. En 1996- 1997, les premiers ours slovènes sont lâchés. Les Pyrénées abriteraient aujourd’hui une cinquantaine d’individus, essentiellement dans le centre de la chaîne, entre le mont Carlit et le pic du Midi.Bien que, selon des estimations, l’ours soit responsable de moins de 1% des attaques contre les troupeaux, sa réintroduction est loin de faire l’unanimité. Trois ours ont encore été tués en 2020, dont deux du côté espagnol, où contrairement à leurs homologues français, les éleveurs ne touchent aucune aide si une de leurs bêtes est tuée par le plantigrade.
L’importance du pastoralisme
Le pastoralisme a modelé les paysages pyrénéens depuis des milliers d’années, et l’élevage mobilise encore 80% de la surface agricole utile. Le passage des animaux et le pâturage assurent l’entretien des sentiers, des pelouses et des landes de montagne, ainsi que le défrichage, prévenant incendies et avalanches et favorisant la diversité des habitats.Les ovins fournissent le gros des troupeaux, suivis par les bovins (essentiellement de race gasconne), les caprins et les équidés (cheval de Merens, en Ariège, âne catalan et âne des Pyrénées). À noter la présence de deux espèces sauvages très anciennes : le Pottok (poney) dans le Pays basque (des deux côtés de la frontière), et la betizu (vache) dans les Pyrénées-Atlantiques et la Navarre.Les animaux évoluent en semi-liberté sur les estives. En effet, la principale caractéristique du pastoralisme est sa gestion collective. Autrefois aux mains des seigneurs et organisés au niveau des vallées, les droits sont aujourd’hui détenus par des communes ou des groupements d’éleveurs. Cependant, en France, depuis la fin des années 1970, les aides de l’État ont eu pour conséquence l’envoi de bêtes sur les estives par des éleveurs non dépositaires des droits d’usage, avec comme corollaire l’augmentation de la taille des troupeaux et le surpâturage de certaines zones. Pour y remédier, des études sont actuellement menées afin de mieux adapter les modes pastoraux aux ressources des territoires. À cet égard, plusieurs dizaines de sites pyrénéens appartiennent au réseau européen Natura 2000, qui vise à mettre en place une gestion durable des espaces en tenant compte des activités économiques et sociales.
Des espaces protégés
Une grande partie du massif pyrénéen est protégée dans le cadre de parcs et réserves naturelles. Côté français, le parc national des Pyrénées, fondé en 1967, est à cheval sur les Pyrénées-Atlantiques et les Hautes-Pyrénées. Il comprend deux zones : le cœur de parc (45 707 ha, altitude comprise entre 1 067 et 3 298 m, au mont Vignemale) et l’“aire optimale d’adhésion” (206 352 ha), où les réglementations sont moins strictes. Il assure également la gestion de deux réserves naturelles nationales situées en dehors de ses limites : celle du Néouvielle et celle des vautours fauves d’Ossau. Ses sites les plus célèbres – les cirques de Gavarnie, d’Estaubé et de Troumouse (classés au Patrimoine mondial de l’Unesco) – font partie, avec le parc national espagnol d’Ordessa et du Mont-Perdu, de l’ensemble “Pyrénées-Mont Perdu”. On y trouve la faune et la flore typiques de la chaîne pyrénéenne. Plus à l’est, le parc naturel régional des Pyrénées ariégeoises, créé en 2009, couvre 246 500 ha, soit 40% de la superficie du département de l’Ariège. Point de rencontre des influences océaniques, méditerranéennes et montagnardes, il offre une grande diversité de milieux naturels et recèle beaucoup d’espèces végétales endémiques (ramonde, géranium cendré, ancolie des Pyrénées, gentiane de Burser) ou menacées (orchis à odeur de vanille, drosera). Il en va de même pour la faune : isard, bouquetin, ours, grands rapaces, genette, chat sauvage, desman, lézard des Pyrénées et chauve-souris – tous y ont trouvé un habitat privilégiéL’Ariège compte également deux réserves naturelles : celle d’Orlu et celle du massif de Saint-Barthélemy.Toujours plus à l’est, dans les Pyrénées-Orientales, le parc naturel régional des Pyrénées catalanesa été créé en 2004. Ses 139 000 ha de plaines d’altitude, replats et profondes vallées englobent 7 réserves naturelles : Py, Mantet, Nyer, Eyne, Conat, Jujols et Nohèdes. Il bénéficie d’un climat montagnard sous influence méditerranéenne, et la forêt occupe 55% de son territoire. La plus grande population française de ligulaire de Sibérie, aux petites fleurs jaunes, y pousse. En matière de faune, gypaète barbu, vautour fauve, grand tétras et lagopède alpin sont ses vedettes, aux côtés du desman des Pyrénées et de la loutre, sans compter plusieurs espèces rares de papillons.Dans la partie espagnole de la chaîne, la nature est protégée dans 2 parcs nationaux : le Parque nacional de Ordesa y Monte Perdido, en Aragon, l’un des plus anciens des Pyrénées (1918), et le Parque nacional d’Aigüestortes i Estany de Sant Maurici en Catalogne (créé en 1955), réputé pour ses lacs et ses vallées glaciaires. Plusieurs “parcs naturels” complètent le dispositif : en Catalogne, le Parque natural del Cadi-Moixero (le plus grand), le Parque natural del Alt Pirineu (célèbre pour ses forêts primitives et sa faune et sa flore remarquables) et le Parque natural de la Zona Volcanica de la Garrotxa (avec ses étonnants volcans) ; en Aragon, le Parque natural Posets-Maladeta (où subsistent des glaciers) et le Parque de los Valles Occidentales (où vit une faune d’une incroyable richesse). Dans la principauté d’Andorre, le parc naturel de Sorteny et celui des Vallées du Coma Pedros donnent à voir de sublimes paysages de haute montagne.
Le site de Pyrénées-Mont Perdu
S’étendant de part et d’autre de la frontière sur les 30 639 ha couverts par le massif calcaire du Mont-Perdu, le site est classé depuis 1997 au Patrimoine mondial de l’Unesco. Cette distinction salue l’un des rares lieux d’Europe où des activités pastorales et forestières séculaires ont été préservées, en particulier la transhumance. Mais elle honore aussi la fabuleuse histoire géologique qui se lit dans ses paysages. Autour du pic du mont Perdu (3 348 m) rayonnent au nord (France) quatre cirques grandioses – Gavarnie, Estaubé, Troumouse et Barroude –, et, au sud (Espagne) des canyons parmi les plus profonds d’Europe (Añisclo, Ordesa et la gorge d’Escuain), ainsi que la vallée de Pineta. Les forces tectoniques ont laissé leur empreinte sur les parois rocheuses, où se superposent par strates terrains anciens et couches plus récentes ; les fossiles d’huîtres ou de crocodile qui y ont été retrouvés témoignent de la présence d’une mer dans des temps reculés ; l’érosion glaciaire et fluviale a creusé les cirques et les profonds canyons, sans compter un important réseau karstique dont la manifestation la plus majestueuse est peut-être la cascade de Gavarnie, l’une des plus hautes d’Europe (423 m). Dans ces espaces d’une beauté saisissante s’exprime l’identité profonde des Pyrénées.