Au crépuscule, quand la lumière s'adoucit, les Lisboètes se pressent devant le minuscule A Ginjinha, un verre de ginjinha (liqueur de cerise) à la main. Une boisson pour femmelette, pensez-vous? Détrompez-vous. Dans les années 1840, un moine du nom d'Espinheira eut l'idée de faire fermenter des cerises aigres ginja dans de l'alcool ; le résultat se laissa boire comme du petit lait. Depuis, le plus ancien bar à ginjinha de Lisbonne continue d'accueillir les clients, hommes âgés coiffés de casquettes ou couples d'amoureux qui viennent s'offrir une minute de pur plaisir pour 1 €.
Suivez leur exemple et commandez un verre de ce breuvage, sem (sans) ou com (avec) cerises. Pour être honnête, le goût ne plaira pas à tout le monde. Cependant, l'important n'est pas la boisson mais tout ce qui va avec: voir le serveur aligner les verres en plastique sur le comptoir, parvenir à sortir sans renverser une goutte de votre verre, contempler le spectacle du Largo de São Domingos. Des femmes africaines parées de violet et de jaune éclatant passent comme des papillons exotiques, des rythmes brésiliens se mêlent au bourdonnement des conversations, le château rayonne d'une lumière dorée sur la colline. Le tout est captivant, surtout après deux ou trois verres, quand on commence à se sentir l'âme poête d'un nouveau Pessoa…